r - Les Bibliothèques Virtuelles Humanistes

5 4 ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
Iaduifay d'en tirer quelque vfage, & dis au Comte qu'il pourroî
courre fortune comme les autres, y ayant là des hommes pour luy en
vouloir prefter vne; mais que hardiment il s'allait- coucher: Que ie
luy ferois vn tour d'amy, & n'efpargnerois à fon befoin, vn miracle,
qui eftoiten ma puiftance : pourueu que fur fon honneur, il me promift
de le tenir très-fidèlement fecret. Seulement, comme fur la
nuict on iroit luy porter le refueillon, s'il luy eftoit mal allé, il me
fift vn tel ligne. Il auoit eu lame & les oreilles fi battues, qu'il fe trou -
ualiédu trouble de fon imagination: & me fit fon ligne à l'heure
fufdite. le luy dis lors à l'oreille, qu'il feleuaft, fous couleur de nous
chafler, &prift en fe louant la robbe de nuict que i'auois fur moy
{nous eftions de taille fort voifine) & s'enveftift, tant qu'ilauroit
exécuté mon ordonnance, qui fut, Quand nous ferions fortis, qu'il
fe retirait à tomber de l'eaue:dift trois fois telles paroles, & fift tels
mouuemens. Qujà chacune de ces trois fois,il ceignift le ruban que
ieluy mettoisenmain, &couchaftbienfoigneufement la médaillequ
i y eftoit attachée, fur fes roignons : la figure en telle pofture. Cela
fait, ayant à la dernière fois bien eftreint ce ruban, pour qu'il ne fe
peuftny defnoiïer ,ny mouuoirdefaplace, qu'en toute alfeurance il
s'en retournait à fon prix fait :&n'oubliaft de reietrer ma robbe fur
fon lict,en manière qu'elle les abriaft tous deux. Ces lingeries font le
principal de l'efFect , Noftre penfée ne fe pouuant demefler, que*
moyens fi eftranges ne viennent de quelque abftrufe feience, Leur
inanité leur donne poids &reuerence.Somme il fut certain,que mes
characteres fe trouuerent plus Vénériens que Solaires, plus en action
qu'en prohibition. Ce fut vne humeur prompte & curieufe, qui me
conuia à tel effect, elloigné de ma nature. le fuis ennemy des actions
fubtiles &c feintes : & hay la finelfe en mes mains, non feulement recreatiu
e, mais aufli profitable. Si l'action n'eft vicieufe, la routte l'eft.
AmafisRoy d'Egypte,efpoufaLaodiçétres-belle fille Grecque: &
luy, qui femonftroit gentil compagnon par tout ailleurs, fetrouua
court à iouïr d'elle,& menaça de la tuër,eftimant que ce fuft quelque
forciere. Comme és chofes qui confiftent en fantaifie, elle le reietta
à la deuotion : Et ayant fait les vœux &promefles à Venus, il fe trouuadiuinementremis,dés
la première nuict d'après fes oblations&
facrifices. Or elles ont tort de nous recueillir de ces contenances mineufes,
querelleufes& fuyardes, qui nous efteignent en nous allu-
FsmmcdonUijfcr mant.LabrudePythagorasdifoit,quelafemmequife couche auec
LA HONTE AUECJA. TÔT- . i • £ \ RC 1 1
TE couchant auec fon vnnomme,doitaueciacottelaiflerquant& quant la honte, & la re-
M
* R
J- prendre auec fa cotte. L'ame de laflaillant troublée de plufieurs diuerfes
alarmes, fe perd aifément : Et à qui l'imagination a fait vne fois
foulfrir cette honte(& ellene la fait fouffrir qu'aux premières accointances
, dautant qu'elles font plus ardentes & afprcs; & auffi qu'en
cette première cognoiflance qu'on donne de foy,on craint beaucoup
plus de faillir) ayant mal commencé, il entre en fièvre & defpit de.