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75o ESSAIS DÉ MICHEL DE MONTAIGNE,
luy font plus glorieufcs, que fes victoires, ôc fon deuil que fon triom- -
phe. Conlidercz, qu'aux actions mefmes qui font vaines &friuoles;
impetuofitéde de- a u i c u des efchecs, de lapaulme, tk femblables, cet engagement afpre
[m, ejî indifctette godent d'vn defir impétueux, iettc incontinent l'efprit ôc les mêmes^»*
ordre. ^ ^ p inci ifcretion y & a u dcfordrc. On s'elblouït, on s'embaraffe
foy-mefme. Celuy qui fe porte plus modérément enuers le gain, Ôc la
perte, il eft toufiours chez foy. Moins ii fe pique &paffionne au ieu,
illeconduitd'autantplusauantageufement&feurement. Nousempefchons
au demeurant, la prife tk la ferre de l'ame, à luy donner tant
de chofes à faifir. Les vnes, il les luy faut feulement prefenter, les autres
attacher,les autres incorporer. Elle peut voir 6c fentir toutes
chofes, mais elle ne fedoit paiftrequede foy: Et doit eftre inftruite,
de ce qui la touche proprement, & qui proprement eft de fon auoir,
6c de fa fubftance. Les loix de Nature nous apprennent ce que iuftement
il nous faut. Apres que les Sages nous ont dit,que félon elle perfonne
n'eft indigent, 6c que chacun l'eft félon l'opinion, ils diftmguent
ainfi fubtilemcnt ,les defirs qui viennent d'elle, de ceux qui
viennent du defreglement de noftre f antafie. Ceux defquels on void
le bout, font fiens, ceux qui fuyentdeuant nous, 6c defquels nous ne
pouuons ioindre lann,fontnoftres. Lapauureté des biens, eft aiféc
a guérir ; la pauureté de l'ame, impoftibie.
C a r fi ce q u i fiiifit à Nam fi, quod fatis efl homini, iâ fatis elfe pote [fit,
l ' h o m m e , l u y p o u u o i t r r r x
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fuffirc, ce feroit affez: H oc fat erat : nunc, cjuum hoc non ejt, qui credimus porro,
PLtyouïquoyl- Diuitias vllas ammum mi exflere poteffe f
nouT^u-aucun^ri- Socrates voyant porter en pompe par fa ville, grande quantité de richeflc't
puiffent rafla- cheffes, ioy aux 6c meubles de prix : Combien de chofes, dit-il ,ie ne
fier m o n appétit ? , r • •» «• i • • i - i i i
LUCIU. délire point! Metrodorus viuoit du poids de douze onces par iour,
Pauureté' de quel- Epicurus à moins : Metroclezdormoit cn hyuer auec les moutons,
ques Philofophes. c n efté aux cloiftres des Eglifcs. Sujpcit ad id natura, quod pofeit.
L i N a t u r e p o u r u o i t à Clcanthes viuoit de fes mains, tk fc vantoit, que Cleanthes s'il
t e q u i luy fait b e f o i n . . . ' ' I ^
vouloit, nournroit encore vn autre Cleanthes. Si ce que Nature
exactement 6c originellement nous demande, pour la conferuation
de noftre eftre, eft trop peu ( comme de vray combien ce l'eft,
6c combien à bon compte noftre vie fe peut maintenir, il ne fe doit
exprimer mieux que par cette confideration ; que c'eft fi peu, qu'il
efchappe laprife 6c le choc de la fortune, par fa petitelfe ) difpenfonsnous
de quelque chofe plus outre: appelions encore Nature, l'vfage
6c condition de chacun de nous; taxons-nous, traitons-nous à cette
mefure; eftendons nos appartenances tk nos comptes iufques là. Car
Accoutumance, iufques là, il me femble bien que nous auons quelque excufe. L'acfeconde
nature. couftumance eft vnefeconde Nature,tk non moins puiffante. Ce qui
manque à ma couftumc,ic tiens qu'il me manque : Et i'ay merois prefque
efgalement qu'on m'oftaft la vic,que fi on me Pcffimoit & retranchoit
bien loin de l'eftat auquel ie I'ay vefcuë fi long-temps. le ne fuis
plus enfermes d'vn grand changement, ny de me ietter à vn nou-