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LIVRE SECOND. i6 7
chez moy, où l'alarme de ma cheutc auoit défia couru, & que ceux
de ma famille m'eurent rencontré, auec les cris accouftumez en telles
chofes: non feulement ierefpondois quelque mot à ce qu'on me demandoit,
mais encore ils difent que ie m'aduifay de commander
qu'on donnait vn cheual à ma femme, que ie voy oy s'empeftrer & fe
tracalTcr dans le chemin, qui eft montueux & mal-aifé. Il femble que
cette confideration deuil partir d'vne ame efueillée; fi efl-cequeic
n'y eftois aucunement: c eiloient des penfemensvains en nue,qui
eftoient efmeus par les fens des yeux& des oreilles:ils nevenoient
pas de chez moy. le ne fçauoy pourtant ny d'où ie venoy, ny où i'alloy,nyne
pouuois poifer& confiderer cequ on medemandoit:cc
font de légers effets, que les fens produifoient d'eux-mefmes, comme
d'vn vfage: ce quel'ame y preftoit,c'eftoit en fonge, touchée
bien légèrement, & comme léchée feulement cVarrofée par la molle
impreffiondcs fens. Cependant mon affiette eftoit à la vérité tresdouce
&c paifible : ie n'auoy affh£tion ny pour autruy ny pour moy:
c'eftoit vne langueur & vne extrême foibleffe, fans aucune douleur,
le vy ma maifon fans la recognoiftre. Quand on m'eut couché, ie
fenty vne infinie douceur à ce repos: car l'auoy efté vilainement tiraffé
parcespauures gens, qui auoient pris la peine de me porter fur
leurs bras, par vn long & tres-mauuais chemin, & s'y eftoient laffez
Jeux ou trois fois les vns après les autres. On me prefenta force re-*
medes, dequoy ie n'en receus aucun, tenant pour certain, que i'eftoy
bleffé à mort par la tefte. C'euft efté fans mentir vne mort bienheureufe
: car la foibleffe de mon difeours me gardoit d'en rien iuger,
& celle du corps d'en rien fentir. le me laiffoy couler fi doucement,
& d'vne façon fi molle & fi aifée, que iene fens guère autre a&ion
rnoins poifante que celle-là eftoit. Quand ie vins à ixuiure,& are-*
prendre mes forces,
Vt tandem fcnfuS COnUaluere met, Lors quVuifia mes e{.;
. r i r . prits fe furent reiuciU
qui lut deux ou trois heures après •> le me ienty tout d vn train renga- lez. Trifl.i.
geraux douleurs, ayant les membres tous moulus &c froiffezdema
cheute : & en fus fi mal deux ou trois nuiëts après, que i'en penfay remourir
encore vn coup, mais d'vne mort plus viue, & me fens encore
de la fecouffe de cette froiffure.Ie ne veux pas oublier cecy ,que la dernière
chofeenquoy ieme pus remettre,ce futlafouuenancede cet
accident: & me fis redire plufieurs fois, où i'alloy,d'ou ic venoy, à
quelle heure cela m'eftoit aduenu,auant que de le pouuoir conceuoir.
Quant à la façon de ma cheute, on me la cachoit, cn faueur de celuy
qui en auoit efté caufe,&m'en forgeoit-on d'autres. Maislong-teps
après, & le lendemain, quand ma mémoire vint à s'entr'ouurir, & me
reprefenter reflatoùiem'eftoy trouué enl'inftantquei'auoyapperceu
ce cheual fondant fur moy ( car ie l'auoy veu à mes talons, & me
tins pour mort: mais cepenfement auoit efté fi foudain, que la peur,
n'eut pas loifir de s'y engendrer) il me fcmbla que c'eftoitvnefclair