r - Les Bibliothèques Virtuelles Humanistes

ï 9 4
ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
defdain &à mcfpris. En toutes chofes, fauf fimplement auxmau-
Mutation fort k uaifes, la mutation eft à craindre : la mutation des faifons , des
craméxe en toutes vents, des viures, des humeurs. Et nulles loixne font en leur vray
dcfes. crédit, que celles aufquelles Dieu a donné quelque ancienne durée:
de mode, que perfonne ne fçache leur naiflance, ny qu'elles
ayent iamais efté autres.
Du dormir.
CHAPITRE XLIV.
A raifon nous ordonne bien d'aller toufiours mefme che.
§J min, mais non toutefois mefme train: Et ores que le Sac
S
n e
^°* ue
a
donner
u x
pafiions humaines, defefours£
uoyer de la droictc carrière-, il peut bien fans intereft de
fon deuoir, leur quitter auffi cela, d'en hafter ou retarder fon pas, ÔC
ne fe planter comme vn Coloffe immobile &impaffible. Quand la
vertu mefme feroit incarnée, ie croy que le pouls luy battroitplus
fort allant à l'alfaut, qu'allant difner : voire il eft neceflaire qu'elle s'échauffe
ôc s'cfmeuuc. A cette caufe i'ay remarqué pour chofe rare, de
voir quelquefois les grands perfonnages, aux plus hautes entreprifes
&importans affaires, fe tenir fi entiers en leur affiettc, que de n'en
accourcir pas feulement leur fommeil. Alexandre le Grand, le iour
Sommeil profond de afiigné à cettcfurieufe bataille contre Darius, dormit fiprofondegrands
perfonnages ment, ôc fi haute matinée, que Parmenion fut contraint d'entrer en
enleursj'm impor- fachambre, & approchant de fon lic~t, l'appeller deux ou trois fois
tansajjjircs. par fon nom,pour l'efueiller, le temps d'aller au combat le prenant.
L'Empereur Othon ayant refolu de ie tuer cette mefme nuiët, après
auoir mis ordre à fes affaires domeftiques, partagé fon argent à
fes £eruiteurs , ÔC affilé le trenchant d'vne efpée dequoy il fe vouloit
donner , n'attendant plus qu'à fçauoir fi chacun de fes amis
s'eftoit retiré en feureté ; fe print fi profondement à dormir, que
MoYtiothon Em- pes v aj e t s ^ c h a mb r e l'entendoicnt ronfler. La mort de cet Em-
P entt>
' pereur a beaucoup de chofes pareilles à celles du grand Caton, ôc
mefmes cecy : car Caton eftant preft à fe défaire, cependant qu'il attendoit
qu'on luy rapportai! nouuelles fi les Sénateurs qu'il faifoit
Dormir profond de retirer, s'eftoient eflargis du port d'Vtiquejfemitfi fort à dormir,
Caton pnjl afe de- q U' o n foyoit fouffler de la chambre voifine : ôc celuy qu'il auoit enf
Mre
' uoyé vers le port, l'ayant efueillé pour luy dire que la tourmente empefchoit
les Sénateurs de faire voile à leur aife, il y en renuoya encore
vn autre,ôc fe renfonçant dans le li6l,fe remit encore à sômeiller,iufques
à ce que ce dernier l'affeura de leur partement.Encore auôs nous
dequoy le côparer au fait d'Alexandre, en ce grand ôc dangereux orage,
quilemenaçoit, par la fedition du Tribun Metellus, voulant
publier le décret du rappel de Pompeius dans la ville auecques fon