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174 ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
donné, par voftre feule prudence ou bonne fortune : il dira aifément
auec moy, que nous n'auons point d'exemple d'affection maternelle
en noftre temps plus exprés que le voftre. le loue Dieu, Madame, II
quelle aye efté fi bien employée: car les bonnes efperanccsquedon- 9
ne de foy Monfieur d'Eftilfac voftre fils, affeurent affez que quand il *
fera en âge, vous en tirerez l'obeïffance&reconnoiffince d'vn très- ^
bon enfant. Mais dautant qu'à caufedefapuerilité,iln'apûremar- k
quer les extrêmes offices quil a receu de vous en fi grand nombre : ie !"
veux, fi ces Efcrits viennent vn iour à luy tomber en main,lors que ie I"
n'auray plus ny bouche ny parole qui le puiffe dire, qu'il reçoiue de I
moy ce tefmoignage en toute vérité, qui luy fera encore plus viue- I
ment tefmoigné par les bons effets, dequoy fi Dieu plaift il f e reffen- il
tira \ qu'il n'eft Gentil-homme en France, qui doiue plus à fa mere 1
qu'il fait, Se qu'il ne peut donner à l'aduenir plus certaine preuue de \
fa bo n té, Se de fa vertu, qu'en vous reconn oiffan t oour telle.
S'il y a quelque foy vrayement naturelle, c'eft a dire quelque inftinc\,
qui fe voye vniuerfellement Se perpétuellement empreint aux
beftes Se en nous, ce qui n'eft pas fans controuer fe, ie puis dire à mon
aduis, qu'après le foin que chaque animal a de fa conferuation, Se de
AffetTion des pères fuir ce qui nuit, l'affcdtion que l'engendrant porte à fon engeance,
aux enfans, plus tient le fécond lieu en ce rang. Et parce que Nature femble nous l'a- ,
grande que des en- n o i r recommandée, regardant à eftendre Se faire aller auant, les pie-
fans aux pères t &* C £ s fuccefliues de cette henné machine j ce n'eft pas merueille, fi à re-
pouiquoy. culons des enfans aux pères, elle n'eftpas fi grande. Ioint cette autre ^
confideration Anftotelique : que celuy qui bien fait à quelqu'vn,
l'aime mieux, qu'il n'en eft aimé : Et celuy à qui il eft deu, aime mieux ^
que celuy qui doit : Se tout ouurier aime mieux fon ouurage, qu'il
n'en feroit aiméjfil'ouurage auoit du fentiment: dautant q de nous ^
defirons eftre, & eftre confifte en mouuement Se action. Parquoy
chacun eft aucunement en fon ouurage. Qui bien fait, exerce vne
Honnête, préféra- action belle Se honnefte :qui reçoit, l'exerce vtile feulement O l'vble
alytile. tile eft de beaucoup moins aimable que l'honnefte. L'honnefte eft
ftable Se permanent, fourniffant à celuy qui l'a fait, vne gratifi nation
confiante. L'vtile feperd cVefchappe facilement,& n'eneitla nemoire
ny fi frefche ny fi douce. Les chofes nous font plus chères., qui
nous ont plus coufté. Et le donner, eft de plus de coult que le prendre.
Hommes cree^ca- Puis qu'il a pieu à Dieu nous douer de quelque capacité de difcours,
pMes de difcours, afin que comme les beftes nous ne fuffions pas feruilementaffujettis
^pourquoy, a u x [ Qlx communes, ains que nous nous y appliquafîions par iuge- "
ment Se liberté volontaire ; nous deuons bien prefter vn peu à la fi m- J
pie authorité de Nature, mais non pas nous laiffer tyranniquement '
itaifon & iuge- emporter à elle : la feule raifon doit auoir la conduite de nos inclina- *
tions. I'ay de ma part le gouft eftrangement mouffe à ces propen- |
fions, qui font produites en nous fans l'ordonnance Se entremile de St
noftre iugement. Comme fur ce fujet,duquel ieparle,ienepuisrece- ^