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7^8 ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
qui veut faire droid engros:&iniuftice en petites chofes, qui veut
i«Pùct humaine venir à chef de faire iuftice es grandes : Que l'humaine iuftice eft forformée
au m ode lie m e c a u modelle de la médecine, félon laquelle, tout cequieftvtile,
de lamedecme. CQ mn- e & honneftc : Et de ce que tiennent les Stoïciens, que
iuftice formée par Nature mefme procède contre iuftice,en la pluf-part de fes ouurages.
iSj.ige les lotxi Et de ce que tiennent aufti lesCyrenaïques : qu'il n'y a rieniuûedc
foy, que les couftumes & loix forment la iuftice. Et les Theodoriens,
qui trouucnt iuftc au fage, le larrecin, le facrilege,touteforte de pail-
Iardife, s'il cognoift qu'elle luy foit profitable. Il n'y a remède : l'en
fuis là, comme Alcibiades, que ie ne me reprefenteray iamais, que ie
puiffe, à l'homme qui décide de ma tefte-. où mon honneur, & ma
vie, dépendent de l'induftrie& foin de mon procureur, plus que de
mon innocence. le mehazarderoisà vnetelleiuftice,quimereconnuft
du bien fait, comme du mal fait : où i'euffe autant à efperer, qu'à
-craindre. L'indemnité n'eft pas monnoy e fufhfante à vn homme qui
fait mieux, que de ne faillir point. Noftre iuftice ne nous prefente
que l'vne de fes mains, & encore la gauche : Quiconque il foit, il en
fort auccques perte. En la Chine, Royaume duquel la police & les
arts,fans commerce tk cognoiffance des noftres,furpaffent nos exemples
en plufieurs parties d'excellence : tk duquel l'hiftoire m'apprend,
combien leMonde eft plus ample & plus diuers, que ny les anciens,
iu*es de la chine,
n v
nous, ne pénétrons : les Officiers députez par le Prince, pour vill­
es leurs charges, ter l'Eftat de fes Prouinces,comme ils puniffenteeux qui maluerfent
en leur chargeais rémunèrent auffi de pure libéralité, ceux qui s'y
font bienportez outre la commune forte, & outrelaneceffité de leur
deuoir : on s'y prefente, non pour fe garantir feulement, mais pour y
acquérir : ny fîmplement pour eftre payé, mais pour y eftre eftrené.
Nul luge n'a encore,Dieu mercy,parléà moy comme luge,pour
quelque caufe que ce foit, Ou mienne, ou tierce, ou criminelle, ou ciuile.
Nulle prifon ne m'areceu, non pas feulementpour m'y promener.
L'imagination m'en rend la veue mefme du dehors, defplaifantc.
le fuis fïaffady après la liberté, que qui me defendroitfaccez de
quelque coin des Indes, i'en viurois aucunement plus mal à mon aife.
Et tant que ie trouueray terre, ou air ouucrt ailleurs, ie ne croupiray
Liberté animée ejî en lieu où il me faille cacher. Mon Dieu, que mal pourroy-ie fouffrir
dxrie fur tout. J a condition, où ie vois tant de gens, clouez à vn quartier de ce
Royaume, priuez de l'entrée des Villes principales, & des Cours, tk
de l'vfage des chemins publics, pour auoir querelléflos loix. Si celles
que ie fers, me menaçaient feulement le bout du doigt, ie m'en irois
incontinent en trouuer d'autres,où que ce fuft. Toute ma petite prudence,
en ces guerres ciuiles où nous fommes, s'employe à ce qu'elles
loix, comme fe
n'interrompent ma liberté d'aller & venir. Orlesloixfemaintien-
n e n t e n
crédit, non parce qu'elles font iuftes, mais parce qu'elles font
maintiennent en loix. C'eft le fondement myftique de leur authorité : elles n'en ont
crédit. point d'autre.Qui bien leur fert.Elles font fouuent faites par des fots.