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«i* ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
rez que ie l'auray demy perdue, que ie m'en prend ray encore à la voix
deceuxquiparlentàmoy. Il faut bien bander l'ame pour luy faire
fentir comme elle s'efcoule. Mon marcher eft prompt & ferme: Se
ne fçay lequel des deux, ou l'efprit ou le corps, i'ay arrefté plusmalaifément,
en mefme poinct. Le prefcheur eft bien de mes amys,
qui oblige mon attention, tout vn fermon. Aux lieux de cérémonie,
où chacun eft fi bandé en contenace,où i'ay veulesDames tenir leurs
yeuxmefmes fi cerrains; iene fuis iamais venu à bout, que quelque
pièce des miennes n'extrauague toufiours : encore quei'y fois aftis,
chryfypHsyureptr i'y fuis peu rafïis : Comme la chambrière du Philofophe Chry lippus,
Us ïambes. difoit de fon maiftre,qu'il n'eftoit y ure que par les iambes : car il auoit
cette couftume de les remuer en quelque aftiette qu'il fuft : Se ellele
difoit lors que le vin efmouu^nt fes compagnons,luy n'en fencoit aucune
altération.On a peu dire auffi dés mon enfancc,que i'auois de la
folie aux pieds, ou de l'argent vif: tant fy a
y de remuement Se d'in-
conftànce naturelle, en quelque lieu que ie les place. C'eft indécence,
outre ce qu'il nuit à la fanté, voire & au plaifir, de manger gouluement,
comme ie fais; le mords fouuent ma langue, par fois mes
Manger goulue- doigts dehaftiueté. Diogenes rencontrant vn enfant qui mangeoit
menr,reprtfdeDio ainfi, en donna vnfoufflet à fon précepteur. Il y auoit des hommes à
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' Rome qui enfeignoient à màfcher, comme à marcher, de bonne
Mafcherdc bonne g r a c e. i' e n perds le loifir de parler, qui eft vn fi doux affaifonnement
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des tables, pourueu .que ce foient des propos de mefme, plaifans &
coures. Il y ade la ialoufie & enuie entre nosplaifirs: ils fe choquent
Mufque chajfée des &cmpefchentl'vnl'autre. Alcibiades, homme bien entendu à faitables
par ^dlcibia- re bonne chère, chaffoitla mufique mefme des tables,pour qu'elle
des,pourquoy. n e troublaft la douceur des deuis, par la raifon que Platon luy prefte,
Que c'eft vn vfage d'hommes populaires, d'appeller des loueurs d'inftrumens&
des chantres auxfeftins, à faute de bons difeours &ag>
greables entretiens, dequoy les gens d'entendement fçauent s'entre-
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demande cecy au conuiue : l'afTemblée de perfonnes
uentej e JOJ . belles de prefence, & aggreablcs de conuerfation, qui ne foientny
muets ny bauards : netteté Se delicateffe aux viures : &au lieu, & le
temps ferain. Ce n'eft pas vne fefte peu artificielle,&peuvoluptueufe,
qu'vn bon traittement de table. Ny les grands chefs de guerre, ny
les grands Philofophes, n'en ont defdaigné l'vfage Se la fcience.Mon
imagination en a donné trois en garde à ma mémoire, que la fortune
me rendit de fouuerainedouceur, en diuers temps demonaage
fleuriffant. Mon eftat prefent m'en forcloft. Car chacun pour foy y
fournit de grace principale, & de faueur, félon la bonne trempe de
corps Se d'ame, en quoy lors il fe trouue. Moy qui ne manie que terre
a terre,hay cette inhumaine fapience, qui nous veut rendre defdaigneux
Se ennemis de la culture du corps. I'eftime pareille iniuftice,de
prendre à contre-cœur les voluptez naturelles , que de les prendre
trop à cœur : Xerxes eftoit vn fat, qui enueloppé cn toutes les volu-