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7$3 ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
Beauté que c (fiez* EtPlaton, le priuilege de Nature. Nous n'en auons point qui la furtombten
ejiimable. e n c r ej l t ; > plie tient le premier rang au commerce des hommes:
Elle fe prefente au deuant, feduit Se préoccupe noftre iugement,auec
grande authorité Se merueilleufe impreifion.Phryneperdoit fa caufe,
entre les mains d'vn excellent Aduocat, fi, ouurant farobbe,
elle n euft corrompu fes luges, par l'efclat de fa* beauté. Et ie trouue
que Cy rus, Alexandre, Celar, ces trois Maiftres du Monde, ne
l'ont pas oubliée à faire leurs grâdsaffaires.Non a pas le premier Scipion.
Vn mefme mot embraife en Grec le bel & le bon. Et le S.Ef-
BeauxjafteUesjiïs. prit appelle fouuent bons,ceux qu'il veut dire beaux. le maintiendrois
volontiers le rang des biens, félon que portoit la chanfon, que
Platon dit auoir efté triuiale,prinfede quelque ancien Poète : Lafan-
Beaux, dignes de té,la beauté, la richeife. A nftote dit, appartenir aux beaux, le droict
commander, beaux fe commander : Se quand il en eft, de qui la beauté approche celle
"Vénérables. des images desDieux, que laveneration leur eft pareillement deuë.
A celuy qui luy demandoit, pourquoy plus long-temps, Se plus fouuent,
on hantoit les beaux:Cette demande, répliqua-il,n'appartient
à eftre faite, que par vn aueugle. La plufpar t Si. les plus grands
Philofophes, payèrent leur efcholage , Se acquirent lafageffe,par
fentremife Se faueur de leur beauté. Non feulement aux hommes
qui me feruent, mais aux beftes aulïi, ie la confidere à deux doigts
près de la bonté. Simefemble-il,quecetraict &façon de vifage, &
ceslineamens, parlefquels on argumente aucunes complexions internes,
Se nos fortunes à venir; eft chofe quineloge pas bten directement
& fimplement fous le chapitre de beauté Se de laideur:
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bonne odeur Se ferenité d'air, n'en promet pas
lafanté: ny toute efpai{feur&: puanteur, l'infection en temps peftilent.Ceux
qui aceufent les Dames,de contredire leur beauté par leurs
meeurs, ne rencontrentpas toufiours. Car en vne face qui ne fera pas
trop bien compofée, il peut loger quelque air de probité Si de fiance:
Comme au reuers, i'ay leu par fois entre deux beaux yeux, des mena—
phyfonomîes fauo- ces'd'vne nature maligne Se dangereufe. Il y a des phyfionomies fa-
ra
^ ies
- uorables': &envnepre{fie d'ennemis victorieux, vous choifirez incontinent
parmy des hommes incogneus, l'vn pluftoft que l'autre, à
qui vous rendre Se fier voftre vie : Se non proprement par laconfideration
de la beauté. C'eft vne foible garentie que lamine, toutesfois
elle a quelque confideration. Et fi l'auois à les fouetter, ce feroit
plus rudement,les mefehans qui démentent Se trahiffent les promeffes
que Nature leur auoit plantées au front. Iepuniroisplusaigre-
Vtfages heureux & ment la malice, en vne apparence débonnaire. Il femble qu'il y ait
tnal-encomrtux. aucuns vifagesheurcux,d'autres mal-encontreux: Et crois qu'il y a
quelque art, à diftinguer les vifages débonnaires des niais, lesfeueres
des rudes,les malicieux des chagrins, lesdefdaigneux des melan-.
Beauté^ de diuerfes choliques, &telles auttesquahtez voifines. Ilyades beautez, non
fortes. fieres feulement, mais aigres : il v en a d'autres douces, Se encores au