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Les Phanariotes et l’Aube des Lumières... 343
or voilà qu’à la suite de méfiances de la Sublime porte à l’égard
des princes autochtones, le sultan décide de confier l’administration des
principautés à de fidèles serviteurs de l’empire ottoman, des Grecs du
phanar. Ainsi, Ahmet III nomme nicolas Mavrocordatos, fils d’Alexandre
l’exaporrite, au trône de Moldavie le 6 novembre 1709. 15 le temps
d’ensevelir son père, nicolas arrive à Jassy le 25 janvier 1710. Il sera muté
au trône de Bucarest en 1715. Sa première nomination inaugure donc le
régime phanariote dans les principautés danubiennes. 16 nicolas entame une
réorganisation profonde des états-vassaux que la porte lui confie. en digne
contemporain de louis xIV et du sultan Ahmet III, il applique une politique
de choc et on pourrait qualifier cette période d’« absolutisme raisonné », en
gros de 1710 à 1730, l’année de sa mort. 17
Dans l’historiographie ottomane, cette période de fastes et d’ouverture
s’appelle l’« époque des tulipes ». Ahmet III envoie un ambassadeur en
France, fait construire une superbe bibliothèque dans son palais de Topkapı,
pratique la calligraphie et la poésie, introduit l’imprimerie dans son empire,
organise des festivités à son palais de Kâğıthane. 18
nicolas fait de même dans la mesure de ses moyens : il monte une
bibliothèque unique par sa richesse dans le sud-est européen au monastère
de Văcăreşti, près de Bucarest. il s’entoure d’érudits qui forment une
véritable académie provinciale à la mode d’occident. Il entretient une
correspondance avec l’archevêque de Cantorbéry, des savants et des hommes
15 Selon le calendrier julien (ancien style), c’est-à-dire le 17 novembre 1709 du
calendrier grégorien et le 14 ramazan 1121 du calendrier ottoman (hégire). Voir Cronica
Ghiculeştilor, éd. n. CAMArIAno et Ariadna CAMArIAno-CIorAn, Bucarest, 1965,
p. 50. Aussi radu GreCeAnu, Istoria domniei lui Constantin Basarab Brîncoveanu
voievod (1688–1714), éd. Aurora ilieş, Bucarest, 1970, p. 175.
16 Certains historiens ont tort d’escamoter cette première nomination du phanariote
nicolas pour ne considérer que sa seconde nomination en 1711 – après la défection de
Dimitrie Cantemir – comme le début du régime phanariote en Moldavie ; comme si
nicolas n’avait été phanariote qu’à sa seconde nomination.
17 J. BouChArD, « nicolas Mavrocordatos et l’Aube des lumières », Revue
des Études Sud-Est Européennes, 20 (1982) p. 237-246. Voir J. BouChArD, Nicolae
Mavrocordat domn şi cărturar al Iluminismului timpuriu (1680–1730), traduction elena
lazăr, Bucarest, omonia, 2006.
18 J. BouChArD, « nicolas Mavrocordatos et l’époque des tulipes », O
Eranisthv~, 17 (1981) p. 120-129. Cf. S. yerasimos, Constantinople, de Byzance à
Istanbul, paris, éditions place des Victoires, 2000, p. 336-353 : Ahmed III et l’ère des
tulipes. Voir aussi F. ANdiÇ et s. ANdiÇ, Batıya Açılan Pencere Lâle Devri, Istanbul,
eren, 2006. le concept de « lâle devri » d’Ahmet refik (1912) est réexaminé dans : Can
erIMtAn, Ottomans looking West ?: the origins of the Tulip Age and its development in
modern Turkey, londres-new york, tauris Academic Studies, 2008.