Correspondance des réformateurs dans les pays de langue française

t 536 JEAN CALVIN AU ROI DEFRANCE. 15
esconter un seul Christ, duquel il est dict, de par le Père céleste
Escoatez-le, et qu'il ne fault avoir esgard à ce qu'auront faict
ou dict les autres devant nous, mais seulement à ce qu'aura commandé
Christ, qui est le premier de tous. Ilz ne se sont point tenuz
entre ces barres, et n'ont permis que les autres s'y tinssent, quand
ilz ont constitué, tant par dessus eux que par dessus les autres,
autre maistre que Christ.
Tous les Pères d'un mesme couraige ont eu en abomination, et
d'une mesme bouche ont détesté, que la saincte parolle de Dien
feust contaminée par subtilitéz sophistiques, et envelopée de combatz
et contentions philosophiques. Se gardent-ilz dedans ces marches,
quand ilz ne font autre chose en toute leur vie que d'ensepvelir
et obscurcir la simplicité de l'Escriture, par contentions
infinies et questions plus que sophistiques? Tellement que si les
Pères estoient maintenant suscitéz, et oyoient un tel art de combatre,
qu'ilz appellent Théologie spéculative, ilz ne penseroient
riens moins que telles disputations estre de Dieu. Maiscomment
s'espandroit au large nostre oraison, si je voulois ennombrer
combien hardiment ilz rejettent le joug des Pères, desquelz il~
veulent estre veuz obéissans enfans? Certes moys et années se
passeroient à réciter ce propoz. Et néantmoins ilz sont d'une impudence
si effrontée, qu'ilz nous osent reprocher que nous oultrepassons
les bornes anciennes.
En ce qu'ilz nous renvoyent à la coustume,ilz ne font rien. Car
ue seroit une grande iniquité, si nous estions contrainctz de céder
à la coustume. Certes,si lesjugemens des hommes estoient droietz,
la coustume se deveroit- prendre des bons. Mais il en est souventestois
advenu autrement; car ce qu'on voyt estre faict de plusieurs
a obtenu droict de coustume. Mais la vie des hommes n'a jamais
esté si bien reiglée, que les meilleures choses pleussent à la pln~
grand' part. Donc des vices particuliers de plusieurs est provenu
un erreur publiq, ou plustost un commun consentement de vice,
lequel ces bons prendhommes veulent maintenant estre pour
loy. Ceux qui ne sont du tout aveugles, apperçoivent que quasi
plusieurs mers de maux sont desbordéz sur la terre, et que tout
le monde est corrompu de plusieurs pestes mortelles; brief, que
tout tombe en ruyne, tellement qu'il fault ou du tout désespérer
des choses humaines, ou mettre ordre à telz manlx, et mesmes
par remèdes violens. Et néantmoins on rejette le remède, non
pour aultre raison, sinon que nous sommes desjà de longue main