Correspondance des réformateurs dans les pays de langue française

i 538CHARLES D'ESPEVILLE [j.CALVIN] A.LOUIS DUTILLET, A.PARIS. 355
aucunes nouvelles de par vous, le bruict estoit volé jusques icy de
vostre partement1. Combien que telle incertitude me feust assez
grande occasion de fascherie, néantmoins je tenois en suspend
mon jugement le plus qu'il m'estoit possible. Ce qui me molestoit
et tormentoit le plus, estoit la crainte que j'avois de vous avoir
par mon imprudence offensé, comme je congnois et recongnois
que je n'ay pas observé envers vous la modestie que je vous debvois.
Bien est vray que je sentois tel fruict de vostre compaignie
et conversation que l'absence ne me pouvoit estre joieuse; mais
d'autant que je vous voiois ici comme languissant s, je portois patiemment
ce qui me défaiDoit,estimant assez bonne récompense
vostre soulagement. Finalement quand vos lettres sont venues des
deux costéz par icelles j'ai congnen une partie de vostre intention.
Pourtant, combien que répute bien que ma compaignie ne
vous pouvoit pas estre trop agréable, en telle incivilité et rudesse
dont je usois envers vous, néantmoins je me confie que ceste
cause ne vous a pas aliéné ne estrangé de nous, ce qui provient
certainement plus de vostre prudence qu'avez eu à me supporter
en cest endroict, que [de] ce que je me suis porté comme il appartenoit.
Je ne vous puis dissimuler que je n'aye esté fort estonnéaprès
avoir entendu vostre intention, et mesmesles raysons qui sont avec
la déclaration d'iceUeen vos lettres. Cequi me cause la plus grande
admiration est que je vousestimois tant conferméet résolu en cest
affaireT,qu'il me ne]feust nullementpossiblevous desmouvoirde
propos; et, quand vous n'eussiez pas eu, au train jà par vous commencé,
fort solide rayson, si est-ce que ce changement tant subit
m'a esté fort estrange, veu la constance et fermeté que vous démonstriez
8. Dieu vueille néantmoins qu'il soit prins autant équitablement
des autres comme je m'efforce de le prendre I
Le correspondantde Calvinavait quitté Genèv en août 1537(ET0*
628, renv.de n. 14; 630,renv.de n. 10;668,renv. de n. 8),.et il s'éiait
retiré à Strasbourg,d'où il partit pourParis, probablementan moisd'oetobre
ou de novembresuivant.
5
Voyezlé commencement dela lettrede L. dn Tilletda 10mars1588.
6 Louis dn Tillet avait peut-êtreexpédiéen deux exemplaires,et par
des voiesdifférentes,la lettre.qu'ilécrività Calvinavantde quitterStrasbourg.
On usait volontiersde cette précaution, quand il s'agissait de
lettresimportantes.
7
Comparezcepassageavecle fragmentcité dansla note 11.
De deuxpassagesde la correspondancede Farel (N« 622,renv. de