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documents pour servir a l'histoire

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Sans rien dire, ils remontèrent et je vis bientôt redescendre les enfants accompagnes<br />

de la garde-couche. Vingt minutes après, — qui me parurent des siècles, —<br />

mon mari revint aussi. Il avait dû faire le tour de la maison avec un officier et lui<br />

montrer ses diplômes, ses livres, ses instruments, tout ce qui pouvait établir sa<br />

profession de docteur. Nous nous crûmes sauvés, mais il n'en était rien.<br />

Soudain, un soldat furibond pénétra dans la cave en criant : « Mann heraus! »<br />

Albin le suivit. J'appris plus tard que mon mari avait été conduit prisonnier dans<br />

l'écurie Bouille avec d'autres Dinantais.<br />

Pendant ce temps, affolée, je suppliais tous les Allemands que je voyais de me<br />

rendre mon mari, ou de me permettre tout au moins de le rejoindre. Je recevais<br />

toujours la même réponse : « C'est la guerre! Civils ont tué nos soldats! » Enfin,<br />

après trois mortelles heures, des soldats consentirent à me prendre avec eux. La<br />

garde prit Emile et Suzanne. On me coucha dans une couverture avec l'enfant,<br />

et les Allemands me portèrent place Saint-Roch, en face de la brasserie Piérard,<br />

où ils me déposèrent sur des débris de volets. La garde ayant pris les devants, je<br />

la perdis de vue. Après quelques minutes, les soldats me soulevèrent de nouveau<br />

et me conduisirent vers la rue Leopold. Quel spectacle, tout était en feu!<br />

Près de chez M. Tschoffen, j'aperçus soudain une masse compacte de personnes<br />

qui tenaient les mains levées. Elles étaient à quinze ou vingt de front, sur plusieurs<br />

rangs. Oh! les faces livides, les yeux fous, les bouches crispées!... Je regardais<br />

bouleversée, la respiration hachée, les tempes bourdonnantes. Où était mon mari?<br />

Je voulais le voir, je voulais le sauver. Un secret instinct me disait qu'il était là !<br />

Par bonheur il se trouvait au premier rang. Je le reconnus tout de suite et je<br />

poussai un cri : « Albin! » Il me regarda... Je fus effrayée. Quel changement en<br />

trois heures! C'était bien lui encore, mais vieilli de dix ans.<br />

En passant près d'un officier, je me fis suppliante : « C'est mon mari, balbutiai-je<br />

d'une voix saccadée en le montrant du doigt, laissez-le venir avec moi... Je<br />

vous en supplie ». L'Allemand se laissa fléchir, et à Albin qui s'était précipité vers<br />

moi <strong>pour</strong> un dernier adieu, il ordonna : « Portez votre femme ».<br />

Nous reprîmes notre marche, et on me déposa sur un matelas derrière la<br />

prison, parmi des blessés allemands qui hurlaient et blasphémaient comme des<br />

démons.<br />

Soudain une fusillade toute proche éclata, couvrant à peine un grand cri<br />

d'effroi poussé par des centaines de voix. Albin, qui s'était agenouillé près de<br />

moi, tourna la tête et jeta un rapide coup d'oeil dans la direction de la maison<br />

Tschoffen. Puis, livide, les yeux effarés de ce qu'il venait de voir, il se pencha vers<br />

moi et me dit d'une voix où il y avait de la rage impuissante : « Cochons ! ils les<br />

ont tous tués ! »<br />

Quelques minutes après, le peloton d'exécution passa près de nous, sa besogne<br />

accomplie. Je pus lire dans le regard de ces assassins la joie du sang répandu. Un<br />

officier s'arrêta devant nous et toisa longuement mon mari. Quels instants! Je<br />

sentis la vie d'Albin entre les mains de ce bandit... Je haletais. Enfin, après quelques<br />

instants qui me parurent démesurément longs, l'officier d'une voix cassante<br />

nous ordonna de partir. Un soldat, plus humain que les autres, aida mon mari à me<br />

transporter. Cent mètres plus loin nous nous arrêtâmes en face de la maison<br />

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