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documents pour servir a l'histoire

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de nous relever ; mais, ne pouvant faire usage de nos bras et étant toujours liés<br />

deux à deux, nous avons toutes les peines du monde à nous mettre debout. Loin de<br />

nous aider, les soldats avaient grand plaisir de notre embarras.<br />

On nous fit alors descendre au bord de la Meuse, au lieu dit « le port » (fig. i3o)<br />

et on nous y fit coucher encore une fois. Trois ou quatre soldats nous gardaient.<br />

Les troupes qui se trouvaient au»-dessus, jetaient les restes de leur repas, et lan*<br />

çaient vers nous des crachats.<br />

Fernand Croibien, <strong>pour</strong> exciter leur pitié, faisait signe qu'il était gravement<br />

blessé et qu'il souffrait beaucoup du bras : alors les soldats tapaient sur le bras<br />

malade à coups de crosse. Pendant tout ce temps on travaillait à la construction du<br />

pont.<br />

Le jour ne tarda pas à paraître et, vers 7 ou 8 heures, on coupa nos liens et on<br />

nous intima l'ordre d'enterrer les morts. Une grande fosse avait été creusée dans<br />

le jardin d'Auguste Bourdon et nous devions y transporter un à un les cadavres<br />

que nous portions à trois ou quatre; deux d'entre nous étaient descendus dans la<br />

fosse même <strong>pour</strong> y ranger les morts (1). Préalablement, nous étions obligés de<br />

fouiller les cadavres et de remettre aux soldats ce que nous trouvions dans les<br />

poches des victimes. Ils prenaient alors ce qui était à leur convenance et rejetaient<br />

le reste.<br />

Quand j'aperçus le corps de maman, je me sentis faiblir et je m'appuyai contre<br />

le mur, mais un coup de crosse me força à reprendre la lugubre besogne. Je n'ai<br />

pu constater où ma mère avait été atteinte par les balles. Je vis de même papa, mon<br />

frère Henri et ma sosur Jeanne. Papa avait la tête presque emportée ; mon frère<br />

avait la poitrine déchirée, et ma sœur avait le crâne ouvert !<br />

Camille Lecomte, de Neffe, âgé de 70 ans, blessé à la jambe et au bras, dut<br />

néanmoins nous aider et transporter ainsi dans la fosse les cadavres de sa sœur et<br />

de sa nièce.<br />

Hubert Kinique vit aussi passer sous ses yeux les cadavres de son père, de sa<br />

mère, de sa sœur et de ses deux frères.<br />

Notre tâche accomplie, un officier s'approcha de nous et s'exprima ainsi :<br />

« Grâce à la grande Allemagne, vous ne serez pas fusillés mais seulement prison*niers<br />

; vous avez aidé la France, mais ce pays sera battu ». Il nous a demandé de<br />

crier « Vive l'Allemagne », mais nous nous y sommes refusés. Nous restâmes<br />

longtemps sur place, vrais débris humains, n'ayant presque plus de sentiment et<br />

comme inconscients de tout ce qui se passait autour de nous. Jusque là on ne nous<br />

avait donné ni à manger ni à boire; enfin, nous reçûmes un seau d'eau puisé dans<br />

la Meuse.<br />

Vers 11 heures, je crois, nous partîmes par le Froidvau en compagnie d'une<br />

cinquantaine de soldats français prisonniers, à qui les Allemands venaient de faire<br />

passer le fleuve (2). Avant de quitter, je m'agenouillai sur la terre humide qui<br />

recouvrait les dépouilles mortelles de mes chers parents et l'orphelin que j'étais,<br />

fi) C'était Schram et Méresse.<br />

(2) Jean Leclercq, au moment du départ, incapable de se mouvoir encore, demeura étendu sur l'herbe,<br />

Cinq jours après, il (ut transporté à l'église des Rivages. Il est resté estropié.<br />

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