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trouvés à dix--sept. II y avait donc notre famille, puis la veuve Florin-'Monin, ses<br />
deux fils Raoul et Louis, la femme de celui-ci, Charlotte Laloux et son fils de<br />
4 ans, Nicolas Monin, le boulanger de la rue Petite et ses trois enfants Aline,<br />
Jeanne et Georges.<br />
Un obus avait déjà éclaté devant le soupirail de la maison et avait blessé à la<br />
jambe Louis Florin. Pendant que nous y étions, un nouvel obus explose sur la<br />
maison. Celle du voisin, Joseph Toussaint, ayant pris feu, nous croyons que celle<br />
de Florin est devenue la proie des flammes et, cette fois encore, il nous faut<br />
déguerpir au plus vite et chercher un nouveau refuge. Je propose de rentrer dans<br />
notre cave, notre maison ne semblant plus être le point de mire de l'ennemi. Mais,<br />
tandis que les autres sortent, je redescends <strong>pour</strong> chercher quelque chose que j'y<br />
avais laissé. De retour dans la rue, n'y voyant plus personne, je crois qu'ils ont<br />
suivi mon conseil et qu'ils se sont tous réfugiés dans notre cave; je la trouve vide.<br />
Alors je me mets à pleurer et à crier et, sur ces entrefaites, arrive mon vieux père,<br />
accompagné de M me Florin. Ils me rassurent, me certifiant que les autres auront<br />
trouvé un abri sûr, et nous redescendons à trois dans la cave de ma maison.<br />
J'appris plus tard que, tandis que je redescendais dans la cave de M me Florin, sa<br />
famille et les miens étaient allés encore une fois s'abriter <strong>pour</strong> leur malheur sous<br />
l'aqueduc. Après dix minutes environ, qui nous paraissent des siècles, nous<br />
entendons un vacarme épouvantable : des cris, des coups de feu et des bombes qui<br />
éclatent... puis un silence de mort. Inquiets sur le sort des nôtres, M me Florin et<br />
moi nous remontons ainsi que mon vieux père. Sur le seuil de la porte un soldat<br />
m'empoigne, me pousse brutalement au milieu de la rue et me demande si je n'ai<br />
pas d'argent.<br />
Je regarde tout autour de moi, espérant toujours revoir les miens, lorsque<br />
j'aperçois, étendu par terre, mon petit Georges, blessé, que Jules Vandurme venait<br />
de retirer de l'aqueduc. Je me précipite vers lui et lui demande ce qu'il a. « Les<br />
soldats ont tiré» me répond--il. Je le prends dans mes bras et je m'assieds sur un<br />
petit mur près de notre maison.<br />
Mais que vois-je alors? Raoul Florin et Constant Pollet, sur l'ordre des soldats,<br />
étaient occupés à retirer de l'aqueduc les survivants blessés; et dans quel état,<br />
oh! mon Dieu! Le père Gustin ramène dans ses bras son fils Edmond (fig. 182),<br />
âgé de 10 ans, ayant les deux genoux broyés. Sa fille Marguerite, âgée de 20 ans,<br />
a les intestins perforés et une blessure à la jambe gauche. Constant Pollet transe<br />
porte le cadavre de son fils Edouard. Le petit Bourguignon, qui avait un an à peine,<br />
a lui aussi les jambes toutes meurtries. Sa mère, Léonie Bultot, qui, au moment<br />
du massacre, allaitait son enfant, a les seins déchirés. Quand on la déposa derrière<br />
moi, elle vivait encore, mais ne parlait déjà plus. Son mari, Jean Bourguignon<br />
(fig. 186), fut déposé sur le chemin aussi, et il y mourut pendant la nuit. Je vois<br />
aussi transporter le jeune Bultot, âgé de 9 ans, horriblement blessé aux genoux,<br />
il meurt du reste peu de temps après. Son père, Norbert Bultot (35 ans), est lui<br />
aussi grièvement blessé (il succomba le mercredi suivant chez les Clarisses) et supplie<br />
qu'on aille chercher sa femme, Renée Dufrenne, mortellement atteinte. On installe<br />
celle-ci près de moi et je vois qu'elle a la poitrine tout en sang; son bras gauche<br />
pend, à demi détaché de l'épaule. Elle essaye de se relever, fait quelques pas,