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documents pour servir a l'histoire

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i8o<br />

Dumont--Bourdon (fig. 2t3, n° 19). C'est là que nous vîmes les soldats achever<br />

eux--mêmes leurs propres blessés à coups de fusil et de revolver (1).<br />

Nous étions pétrifiés par cette vision d'incroyable barbarie, quand, tout à<br />

coup, des voix crièrent : « Die Franzosen ». Aussitôt les Allemands, pris de peur,<br />

se collèrent le long du mur en déchargeant leurs armes à la diable. Celui qui<br />

m'avait transportée nous quitta précipitamment en disant à Albin : « Transportez<br />

votre femme dans cette maison » en indiquant celle de M. Dumont. Mon pauvre<br />

mari, épuisé, fit des efforts <strong>pour</strong> véhiculer le matelas. Il l'avait déjà traîné jusqu'au<br />

seuil, lorsqu'un soldat qui passait en fuyant, s'arrêta près de nous et coucha<br />

brusquement Albin en joue. Celui-ci leva les mains en criant qu'il était médecin.<br />

L'autre passa son chemin.<br />

Enfin, à l'abri momentanément dans la maison, nous songeons à nos deux<br />

enfants que nous n'avons plus revus. Dans la rue, tout semble être rentré dans le<br />

calme. On n'entend plus rien. A peine, de temps en temps, au loin, quelques coups<br />

de feu répercutés par l'écho.<br />

Soudain nous percevons du bruit dans la maison, des pas se rapprochent de la<br />

chambre que nous occupons, la porte s'ouvre, et quel n'est pas notre étonnement<br />

de voir apparaître M. et M me Marsigny avec leur fils. Ces malheureux nous racontent<br />

qu'ils ont dû abandonner près de la prison leur fille mortellement atteinte à la tête<br />

(voir p. 13c). Leur douleur nous fend le cœur et nous oublions un instant la nôtre<br />

<strong>pour</strong> tâcher de consoler ces pauvres parents éplorés.<br />

Alors Albin, ne se sentant pas suffisamment en sécurité dans cette demeure,<br />

nous propose un refuge, pas très confortable assurément, mais qui semblait tout à<br />

fait sûr. C'était un égout, vulgairement appelé le Trou du Loup, profond, bas,<br />

étroit, sale, mais dont l'issue, au bord de la Meuse, était quasi introuvable <strong>pour</strong><br />

qui ne la connaissait pas. On décida de s'y rendre.<br />

Avec mille précautions, rampant <strong>pour</strong> ainsi dire, nous nous faufilâmes le long<br />

de la Meuse, et, sans être aperçus, nous pûmes nous glisser jusqu'à l'égout, où,<br />

<strong>pour</strong> entrer, nous dûmes marcher sur nos genoux et nos mains. Comment ai^je eu<br />

la force de faire cet effort? Sinon parce que, à la vue du danger, les nerfs se<br />

tendent à l'extrême.<br />

Après quelques minutes, Albin jugea qu'il était impossible <strong>pour</strong> moi de<br />

demeurer ainsi dans l'humidité et il retourna chez Dumont <strong>pour</strong> y chercher le<br />

matelas.<br />

Alors se succédèrent trois jours et trois nuits de privations, de souffrances et<br />

d'angoisses que je ne saurais décrire... Pour toute nourriture, du dimanche soir au<br />

mercredi, nous n'eûmes que l'eau de la Meuse que mon mari allait puiser dans le<br />

vieux feutre de M. Marsigny, et quelques brins d'herbe arrachés aux abords de<br />

l'égout. C'est tout !<br />

Le jour, nous nous tenions à une vingtaine de mètres de profondeur et la nuit<br />

nous nous rapprochions de l'orifice <strong>pour</strong> respirer un peu d'air frais. On n'avait<br />

même plus le courage de se parler. Et les heures se succédaient... interminables !<br />

(1) Voici à ce sujet ce que raconte T\. Albin Laurent lui-même dans sa déposition : K J'entendis une<br />

décharge, et je vis les fusils des Allemands dirigés sur les civières, sur lesquelles nous venions de voir les<br />

blessés allemands; ils les achevaient... Pendant que je regardais,i ly eut encore une décharge ».

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