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Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des <strong>races</strong> humaines, (1853-1855) Livres 1 à 4 461<br />

aussi étroit. L'idée répugnait aux traditions libérales des Arians. L'esprit sémitique, de<br />

son côté, n'avait pas de fortes raisons d'y tenir : il était habitué aux formes républicaines<br />

en vigueur sur la côte de Chanaan. Incapable d'ailleurs de se plier à la régularité<br />

de l'hérédité dynastique 1 , il ne souhaitait pas une institution qui, chez lui, n'avait<br />

jamais puisé son origine dans le choix libre du peuple, mais toujours dans la conquête<br />

et la violence, et, souvent, dans la violence étrangère. Je ne fais d'exception que pour le<br />

royaume juif. On imagina donc, en Grèce, de créer une personne fictive, la Patrie 2 , et<br />

on ordonna au citoyen, par tout ce que l'homme peut imaginer de plus sacré et de plus<br />

redoutable, par la loi, le préjugé, le prestige de l'opinion publique, de sacrifier à cette<br />

abstraction ses goûts, ses idées, ses habitudes, jusqu'à ses relations les plus intimes,<br />

jusqu'à ses affections les plus naturelles, et cette abnégation de tous les jours, de tous<br />

les instants, ne fut que la menue monnaie de cette autre obligation qui consistait à<br />

donner, sur un signe, sans se permettre un murmure, sa dignité, sa fortune et sa vie,<br />

aussitôt que cette même patrie était censée vous les demander.<br />

L'individu, la patrie l'enlevait à l'éducation domestique pour le livrer nu, dans un<br />

gymnase, aux immondes convoitises de maîtres choisis par elle. Devenu homme, elle le<br />

mariait quand elle voulait. Quand elle voulait aussi, elle lui reprenait sa femme pour la<br />

transmettre à un autre, ou lui attribuait des enfants qui n'étaient pas de lui, ou encore<br />

ses enfants propres, elle les envoyait continuer une famille près de s'éteindre.<br />

Possédait-il un meuble dont la forme n'agréait pas à la patrie, la patrie confisquait<br />

l'objet scandaleux et en punissait sévèrement le propriétaire. Votre lyre comptait une<br />

corde, deux de plus que la patrie ne le trouvait bon, l'exil. Enfin, le bruit se répandait-il<br />

que le triste citoyen ainsi morigéné obéissait trop bien aux caprices incessants,<br />

constamment renouvelés de son despote nerveux et acariâtre, en un mot, pouvait-on,<br />

non pas même prouver, mais penser qu'il était immodérément honnête homme, la<br />

patrie, perdant patience, lui mettait la besace sur le dos, le faisait saisir et conduire,<br />

malfaiteur d'un nouveau genre, à la frontière la plus voisine, en lui disant :Va et ne<br />

reviens plus !<br />

Si, contre tant et de si effroyables exigences, la victime, cependant un peu émue,<br />

tentait de regimber, ne fût-ce qu'en paroles, il y avait la mort, souvent avec tortures, le<br />

déshonneur, la ruine certaine de la famille entière du coupable, qui, repoussée par tous<br />

les gens assez vertueux pour s'indigner du crime, mais non pas assez pour encourir le<br />

châtiment d’Aristide, devait s'estimer très heureuse d'échapper à l'indignation, aux<br />

pierres et aux couteaux de tous les patriotes de carrefours.<br />

1 « The heroic notion of the unity of the state being centred in the royal line was already « shaken.<br />

Many of the less potent nobles saw, in the greater distribution of authority, a « pathway opened to<br />

their ambition. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 21.)<br />

2 « In the days of the monarchy the word which subsequently was used to denote a city (mot « grec)<br />

and finally a state, signified no mote than the castle of the prince. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 22.) - De<br />

même, à notre époque féodale, on n'employait guère le mot patrie, qui ne nous est vraiment revenu<br />

que lorsque les couches gallo-romaines ont relevé la tête et joué un rôle dans la politique. C'est avec<br />

leur triomphe que le patriotisme a recommencé à être une vertu.

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