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Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des <strong>races</strong> humaines, (1853-1855) Livres 1 à 4 47<br />

La corruption des mœurs elle-même, le plus horrible des fléaux, ne joue pas<br />

inévitablement un rôle destructeur. Il faudrait, pour que cela fût, que la prospérité<br />

d'une nation, sa puissance et sa prépondérance se montrassent développées en raison<br />

directe de la pureté de ses coutumes ; et c'est ce qui n'est pas. On est assez<br />

généralement revenu de la fantaisie si bizarre qui attribuait tant de vertus aux premiers<br />

Romains 1 . On ne voit rien de bien édifiant, et on a raison, dans ces patriciens de<br />

l'ancienne roche qui traitaient leurs femmes en esclaves, leurs enfants comme du bétail,<br />

et leurs créanciers comme des bêtes fauves ; et, s'il restait à une si mauvaise cause des<br />

défenseurs qui voulussent arguer d'une prétendue variation dans le niveau moral aux<br />

diverses époques, il ne serait pas bien difficile de repousser l'argument et d'en<br />

démontrer le peu de solidité. Dans tous les temps, l'abus de la force a excité une<br />

indignation égale ; si les rois ne furent pas chassés pour le viol de Lucrèce, si le tribunat<br />

ne fut pas établi pour l'attentat d'Appius, du moins les causes plus profondes de ces<br />

deux grandes révolutions, en s'armant de tels prétextes, témoignaient assez des<br />

dispositions contemporaines de la morale publique. Non, ce n'est pas dans la vertu<br />

plus grande qu'il faut chercher la cause de la vigueur des premiers temps chez tous les<br />

peuples ; depuis le commencement des époques historiques, il n'est pas d'agrégation<br />

humaine, fût-elle aussi petite qu'on voudra se la figurer, chez qui toutes les tendances<br />

répréhensibles ne se soient trahies ; et cependant, ployant sous cet odieux bagage, les<br />

États ne s'en maintiennent pas moins, et souvent, au contraire, semblent redevables de<br />

leur splendeur à d'abominables institutions. Les Spartiates n'ont vécu et gagné<br />

l'admiration que par les effets d'une législation de bandits. Les Phéniciens ont-ils dû<br />

leur perte à la corruption qui les rongeait et qu'ils allaient semant partout ? Non ; tout<br />

au contraire, c'est cette corruption qui a été l'instrument principal de leur puissance et<br />

de leur gloire ; depuis le jour où, sur les rivages des îles grecques 2 , ils allaient,<br />

trafiquants fripons, hôtes scélérats, séduisant les femmes pour en faire marchandise, et<br />

volant çà et là les denrées qu'ils couraient vendre, leur réputation fut, à coup sûr, bien<br />

et justement flétrissante ; ils n'en ont pas moins grandi et tenu dans les annales du<br />

monde un rang dont leur rapacité et leur mauvaise foi n'ont nullement contribué à les<br />

faire descendre.<br />

Loin de découvrir dans les sociétés jeunes une supériorité de morale, je ne doute<br />

pas que les nations en vieillissant, et par conséquent en approchant de leur chute, ne<br />

présentent aux yeux du censeur un état beaucoup plus satisfaisant. Les usages<br />

s'adoucissent, les hommes s'accordent davantage, chacun trouve à vivre plus aisément,<br />

les droits réciproques ont eu le temps de se mieux définir et comprendre ; si bien que<br />

les théories sur le juste et l'injuste ont acquis peu à peu un plus haut degré de<br />

délicatesse. Il serait difficile de démontrer qu'au temps où les Grecs ont jeté bas<br />

l'empire de Darius, comme à l'époque où les Goths sont entrés dans Rome, il n'y avait<br />

1 Balzac, Lettre à madame la duchesse de Montausier.<br />

2 Odyssée, XV.

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