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354 MÉMOIRES DE GOETHE.<br />

mante jeune dame, se montrait tantôt à une portière, tantôt<br />

à une autre, en saluant la foule qui, loin d'être touchée<br />

par cette politesse, arrêta les chevaux. Les plus déterminés<br />

des assaillants ouvrirent le carrosse et en tirent sortir un<br />

homme de petite taille , très-gros, le visage large et marqué<br />

de petite vérole; c'était un des clubistes les plus exaltés.<br />

Après avoir ordonné au postillon de continuer sa route<br />

avec la belle, on traîna le malheureux dans un champ voisin,<br />

où on le foula aux pieds, et on le maltraita au point qu'il<br />

devint bientôt méconnaissable. Un poste voisin . vint enfin<br />

arracher à ces forcenés leur malheureuse victime, qu'on<br />

transporta dans la plus proche maison. Là , étendu sur<br />

une botte de paille, il était à l'abri des voies de fait, mais<br />

les curieux qui demandaient à le voir l'accablèrent d'injures<br />

et de menaces. L'officier du poste finit par ne plus laisser<br />

entrer personne, il ne fit pas même une, exception pour<br />

moi, quoique je le connusse intimement. Aussi son refus<br />

n'était-il pas basé sur la crainte que j'insultasse ce malheureux,<br />

mais sur la conviction que je serais trop péniblement<br />

impressionné par un spectacle, qui réunissait tout ce qu'il<br />

y avait de plus dégoûtant et de plus triste.<br />

Pendant ce temps l'infanterie française défila. Plusieurs<br />

jeunes filles de Mayence qui suivaient leurs amants, marchaient<br />

à côté d'eux; les spectateurs leur adressèrent d'abord<br />

des moqueries, puis des insultes, dans lesquelles les<br />

militaires eux-mêmes ne tardèrent pas à se trouver compris.<br />

Les femmes du peuple excitèrent leurs maris en leur<br />

criant de ne pas laisser partir si tranquillement ces gens-là<br />

qui étaient la cause de leur ruine.<br />

Malgré la contenance sévère des soldats, et la dignité<br />

calme des officiers qui marchaient à côté d'eux pour maintenir<br />

l'ordre, on s'attendait à chaque instant à voir la foule<br />

se jeter sur eux. En ce moment dangereux, parut un<br />

homme à cheval dont l'uniforme tenait le milieu entre le<br />

militaire et le civil ; une très-belle femme en habit d'homme,<br />

également à cheval, était à ses côtés, plusieurs four-

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