1959 - Université Libre de Bruxelles

108 G. A. BRUNET
d'un corpuscule de déterminer en même temps sa position
puisque cela est mathématiquement impossible, nous sommes
stupéfaits et confus. Tout cela est le résultat de l'abstraction.
Il ne faudrait pas cependant perdre de vue que pour le
mathématicien ou pour le physicien qui utilise les mathématiques,
la lettre X par exemple qui apparatt comme le symbole
de l'inconnu et de l'abstraction n'est après tout qu'un moyen
commode de désigner une quantité provisoirement inconnue
et abstraite de son contenu, mais que l'on se propose de connaître
et de concrétiser à la première occasion. La lettre mystérieuse
et ses succédanés ne sont pas une fin mais un moyen;
ils sont des outils que l'on met bout à bout pour pénétrer
l'intimité de la nature et accéder par l'intelligence pure, tournant
en vase clos, à des vérités qui se dissimulent aux sens.
La merveille est que lorsqu'elle sort du vase clos, l'intelligence
ait trouvé sans y regarder ce qui se passait à l'extérieur.
Avouons qu'il y a de quoi susciter l'étonnement et l'admiraration.
Pourtant le savant ne demande qu'à rendre intelligible
ce qui se trouve dans ses équations. Pour lui la clarté est
garante de succès, du moins auprès de ses confrères, et si son
langage est ésotérique, c'est bien contre son gré. Pour le
public du savant dont l'artiste fait partie, l'hermétisme est
une propriété du savoir. Ils varient dans le même sens. Cette
vue n'est pas toujours fausse, mais elle conduit à n'accorder
d'admiration qu'en fonction de l'hermétisme qui a toujours
été un attribut des Dieux, et de l'identifier à la supériorité
intellectuelle. Comme il est normal et bien pardonnable, l'admiration
qu'on port.e au savant, engendre donc une secrète
envie et un espoir de revanche; car nous sentons bien que la
logique la plus rigoureuse et même la plus subtile ne repose
en dernière analyse que sur un principe très simple qui est
celui de la non-contradiction, principe accessible à tous
comme les droits politiques. Elle ne devient inintellig~ble
que par sa complication, par sa quantité en somme. Dans ces
conditions, pourquoi les artistes ne montreraient-ils pas au
monde qu'ils sont capables d'abstraire, eux aussi, d'une manière
qui leur ~oit propre mais aussi hermétiqueP Ils le font.
Ils l'ont même toujours fait. Le sculpteur des cavernes qui p
sans le savoir peut-être, transformait un bison particulier en
bison général, faisait de l'abstraction comme Monsieur Jour-