1959 - Université Libre de Bruxelles

312 PIERRE RUELLE
on sait qu'il en ira ainsi dans bien des domaines jusqu'au
XVIIe siècle et souvent même au delà.
Au XVIIe siècle, précisément, deux érudits vont ajouter un
nouveau chapitre à la protohistoire de la grammaire historique.
Que le premier, Ménage, ait été bilieux et pédant et ait
ainsi mérité d'être raillé sous le nom de Vadius dans Les
femmes savantes de Molière, c'est possible. Mais ses Origines de
la langue françoise sont un monument philologique remarquable.
Les étymologies qu'il y propose sont exactes dans la
proportion de 70 % environ C). Ménage, cependant, bien
qu'il sût l'italien et l'espagnol - outre le latin et le grec, cela
va sans dire - quoiqu'il se fût penché avec intérêt sur l'ancien
français et les dialectes, Ménage commettait encore l'erreur de
rapprocher arbitrairement les mots de son temps des vocables
latins sans se préoccuper des formes intermédiaires. D'ailleurs,
comment l'eût-il pu! Il lui manquait comme à ses prédécesseurs
un dictionnaire du latin de basse époque, un autre de
l'ancien français. Or, si le premier de ces ouvrages, l'admirable
Glossarium mediae et infimae latinitatis de Du Cange,
allait paraître du vivant même de Ménage, le second devait se
faire attendre longtemps encore puisque le Dictionnaire historique
de l'ancien langage françois rédigé au XVIIIe siècle par
Lacurne de Sainte-Palaye n'a été publié que dans le dernier
quart du XIX e siècle.
On ne peut donc se montrer surpris lorsqu'on voit la filiation
latine du français remise en question au XVDI e siècle. Des
savants comme dom Rivet, le promoteur de l'Histoire littéraire
de la France, ont beau multiplier les mémoires éclairant la
nature et le rôle du latin populaire parlé dans les Gaules, des
esprits aventureux reviennent à une hypothèse déjà avancée au
XVIe siècle, l 'hypothèse celtique. Sans doute n'eut-elle jamais
pour elle de véritables savants, de ceux que l'on appelle aujourd'hui
les « spécialistes », mais elle devait jusque dans la seconde
moitié du XIX e siècle garder du crédit auprès des auteurs de
dictionnaires patois et des publicistes chauvins. Je citerai pour
les premiers Sigart, auteur d'un Dictionnaire du wallon de
Mons, imprimé en 1862, et pour les autres Granier de Cassagnac,
qui publia en 1872 une-Histoire des origines de la
(3) F. BRU~OT, Histoire de la langue française, 1. p. 7.