1959 - Université Libre de Bruxelles

30 DISCOURS RECTORAL DE M. LE PROFESSEUR HENRI JANNE
Enumérons brièvement les différences des deux phases
séparées par la coupure des années 80.
Le syndicalisme d'avant était composé d'ouvriers qualifiés.
Il était minoritaire, aristocratique, doctrinaire, révolutionnaire
et organisé par métiers. Le mouvement ouvrier dans le cadre
de la lutte des classes ne prenait aucune part à la vie politique
normale. Il préparait la grève générale et la révolution. Sa dernière
flambée sera la Commune de 1871. Après les années 80,
le syndicalisme recrute le maximum possible de membres et'
fait appel aux non-qualifiés; il est mouvement de masse, majoritaire,
pragmatique, réformiste. Il s'organise par branches
d'industrie et combat pour l'amélioration immédiate et progressive
des conditions de travail. Il entre dans la lice de la
politique électorale. Le Parti Ouvrier Belge est créé en 1885.
C'est la période de révisionnarisme de la doctrine socialiste.
Le premier syndicalisme étàit illégal et clandestin, le nouveau
syndicalisme est autorisé et s'étale en propagande publique.
Le résultat sera que l'on passe du rapport de production « prolétaire
isolé-patronat)) à celui de « travailleur organisé-chefs
d'entreprises ». Le changement est fondamental et va avoir sur
le mode de vie de la classe ouvrière des effets opposés à ceux
que Marx avait prévus.
Passons à l'Eglise catholique. Jusqu'aux années 80, le
catholicisme était, officiellement et dans l'ensemble, resté conservateur.
Sa réaction à la misère du peuple se limitait à la charité,
à expliquer aux individus qu'ils étaient responsables de
leur misère et pouvaient s'élever socialement par eux-mêmes,
à prêcher aussi l'apaisement et la résignation. Au cours des
années 80 se manifeste un mouvement social qui va se traduire
par l'encyclique Rerum Novarum, en 1891. C'est le vrai point
de départ de la démocratie chrétienne et du syndicalisme chrétien.
Jusqu'aux années 80, la société est intégralement dominée
par la bourgeoisie. C'est une société de classes répondant parfaitement
aux définitions de Karl Marx. Le suffrage censitaire
réserve le monopole du pouvoir politique à la bourgeoisie qui,
bien que maîtresse de l'Etat, s'organise militairement en
« gardes » dites civiques ou nationales, qui ne sont, comme
l'événement l'a prouvé, que des troupes de répression inté-',
rieure. La fin du siècle voit une revision constitutionnelle qui