1959 - Université Libre de Bruxelles

302 H. F. JANSSENS
appelle la bédouinerie. C'est un homme des villes. Tout ce qui
les concerne l'intéresse et certaines de ses remarques on t même
fait dire à Gaudefroy-Demomhynes : « On serait tenté de croire
qu'il avait le sens de l'urbanisme (52). »
Ce dont il avait certainement le sens, c'est de l'urbanité.
C'était un homme de tact, continuellement soucieux des bons
usages et plein d'égards pour autrui. La civilité de ses paroles
égalait l'honnêteté de ses manières, mais, quand on le relit,
on se demande si elles expriment bien toujours l'estime et la
considération. Sous sa politesse, il y a de la froideur. Ibn
Batouta a observé avec le même soin les règles de la bienséance
et s'offusque aussi de toute incorrection. Il s'accommode toutefois
davantage aux désirs des autres. Il est plus affable, avec
une gracieuseté qui semble partir de son humanité. Par le discernement
des convenances, le goût de l'étiquette ou du décorum
et la courtoisie à laquelle les Arabes et tous les Orientaux
attachent tant de prix, Ibn Jobaïr et Ibn Batouta se ressemblent
fort. Sous le vernis commun percent néanmoins des nuances.
La comparaisqn attentive les décèle, comme elle les fait découvrir
même dans ce qui a contribué le plus à conférer au monde
musulman un aspect si uniforme: la religion.
Ibn J obaïr était un mahométan très strict. C'est même
pour avoir, quand il était chez le gouverneur de Grenade, bu
du vin, sur l'ordre de son maître, qu'il a fait son pèlerinage en
expiation (53). Comme celle d'Ibn Batouta, sa relation abonde
en citations coraniques, en formules dévotes et en interjections
pieuses. A la conviction s'unit cependant chez Ibn Jobaïr la
satisfaction de les choisir à propos, et de les varier à plaisir. Il
reste écrivain même dans sa ferveur et dans sa mysticité. Il est
vrai que celle-ci provient moins de son tempérament que de sa
formation intellectuelle. Comme tous ses coreligionnaires
instruits, il a subi l'influence du mysticisme qui régnait dans
la philosophie et la littérature de son temps.
A l'endroit des chrétiens et, plus encore, des mahométans'
trop tièdes, qui s'arrangeaient avec eux, Ibn Jobaïr était d'une
haute intransigeance. Ce n'est pas lui qui serait allé à Constantinople,
ou chez des idolâtres, simplement par curiosité. Il il
traversé la Syrie des Francs et fait escale dans la Sicile nor-
CS 2 ) op. cif., l, p. 19.
CS 3 ) Cf. BROADHURST, op. cit., p. 1.5.