1959 - Université Libre de Bruxelles

IBN BATOUTA ET SIR HAMILTON GIBB 295
toire et les littératures de l'islam intéressent les liront avec profit.
Remarquez-en la fin : « Un monde où, bien plus que chez
nous, chacun tient à l'extrême, à faire respecter son moi, un
moi, par surcroît, souvent très riche, moralement. ))
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Quand on considère la littérature arabe, avec, il est vrai,
notre attention fixée par M. Abel sur le point, on voit bien les
individus y manifester nettement leurs personnalités. Il y a un
genre où elles se déploient et où elles s'étalent même. C'est
l'autobiographie. Or elle y est représentée par tant d'œuvres
marquantes qu'on lui a ~onsacré une étude spéciale (88).
Biographie se dit sîra en arabe, c'est-à-dire « voyage », la
vie étant envisagée comme en étant un. Le Sîra par excellence
est la biographie de Mahomet. Selon Topffer, dans ses Voyages
en zigzag, « la vie humaine ressemble à un voyage uniquement
parce qu'un voyage ressemble à une vie humaine )). Si la biographie
peut être comparée à la relation d'une sorte de voyage,
actions extérieures, en général, au sein de ce qui avait été l'éphémère
empire des khalifes.
)) Ce cadre géographique implique des habitudes de sobriété, d'économie,
d 'hospitalité, de prudence aussi, qui ont séculairement influencé
les mœurs.
)) Mais d'autres éléments communs, encore, contribuent à établir
cette atmosphère. Ce sont ceux qui survivent, à travers le temps, de la
culture qui marqua l'Islâm, et que l'unité de la religion, - une religion
présente à tous les moments de la vie, - contribua à répandre
partout où le Coran était (( le Livre )). Et comme l'Islâm, plus qu'aucune
autre, est avant tout religion de tradition, dans le droit, la morale,
l'orientation des études, cette tradition conservatrice est demeurée intangible,
à peu près, jusqu'au XVIIIe siècle, puis a progressivement, mais
très lentement, été rongée par les courants qui se dessinèrent à la suite
de l'établissement, en terre d'Islâm, des hégémonies européennes.
)) Il en demeure pourtant beaucoup de choses, les meilleures, à
notre avis, car ce sont les tendances les plus profondes de l'homme
qu'elles ont imprégnées. Et le voyageur, et avec lui le commerçant, qui
se rend au Maroc, en Egypte, en Syrie, en Iran, voire au Pakistan, ne
doit jamais perdre de vue qu'une réserve délicate, une politesse mesurée,
le goût de la belle expression, le souci de l'apparence et le respect de
soi, sans emphase ni violence, l'affectation du désintéressement, enfin,
constituent l'abc de la civilité traditionnelle dans un monde où, bien
plus que chez nous, chacun tient, à l'extreme, à faire respecter son moi,
un moi, par surcrott, souvent très riche, moralement.))
(38) Fr. ROSENTHAL, Die arabische Autobiographie (Analecta Orientalia,
14),1937. Cf. G. MIseH, Geschichte der Autobiographie, II (moyen
âge), Francfort, 1955.