1959 - Université Libre de Bruxelles

294 H. F. JANS SENS
diversité du monde musulman. En 1910, A. Bricteux pouvait
encore intituler un petit livre L'im,mobilité de l'Islam (35). On ne
le ferait plus maintenant, surtout depuis que des savants, réunis
en congrès, se sont donné la tâche de faire apparaître la bigarrure
à travers le dehors monochrome, et qu'ils ont publié leurs
constatations sous le titre Unit y and Variety in Muslim Civilizalion
(S6).
Unité et variété dans le temps et dans l'espace, cette nouvelle
vue du monde islamique s'impose. M. Armand Abel, un
des savants qui l'ont fait prévaloir, l'a démontré en quelques
lignes dans des observations qu'il vaut la peine de donner ici
intégralement, pour les mieux faire connaître, car elles ont
paru dans une revue peu répandue (31). Or tous ceux que l 'hiseS)
A. BRI CTEUX , L'immobilité de l'Islam, Bruxelles, 1910.
(36) Unit y and Variety in Muslim Civilization, ed. by G. E. VON
GRUNEBAUM, Chicago, University Press, 1955. Communications faites au
Congrès de Spa, organisé par G. E. von Grunebaum et J. Duchesne­
Guillemin.
(37) A. ABEL, Marchands d'Orient d'hier et d'aujourd'hui, dans
Industrie, juillet, 1954.
« Observations préliminaires. Le public européen semble porté à se
représenter le cc monde musulman » comme une unité aux cadres solides
et permanents, au contenu constant. Il tend volontiers à croire, - et
beaucoup d'auteurs l'y encouragent, - que, du golfe d'Agadir au golfe
de Bengale, tous les Musulmans: Marocains de souche arabe, Berbères,
Algériens, Tunisiens, Libyens, Egyptiens, Arabes du Hedjaz ou du
Yémen, Soudanais, Danakil, Syriens, Iraqiens, Turcs, Iraniens, Turkmènes
et Pakistanais, représentent, soit une race, soit une nation,
quelque chose, en tout cas, à quoi il est naturellement possible d'accéder
au moyen d'une seule clef.
» Or, cette unité n'existe pas, et l'échec récent de la Ligue arabe
implique la diversité qui s'est glissée, de nos jours, dans un monde
auquel il arrive parfois encore de croire qu'il pourrait former un bloc.
Car, ce qui est, en apparence, paradoxal, c'est que, sous la diver:sité,
réelle et profonde, constamment accusée, des tendances qui se font jour
dans ces vastes territoires, on sent percer la permanence d'un caractère
qui, non seulement distingue le monde islamique du monde occidental
ou du monde indien, par exemple, mais, encore, qui établit une parenté
éthique entre tous ceux qui le peuplent.
» Cette parenté réside, en première comme en dernière analyse,
dans des habitudes extérieures, celles qui frappent d'abord l'observateur:
gestes, vêtements, aussi bien que dans certaines façons de vivre et de
sentir, dans une atmosphère, enfin, qui, en dépaysant le voyageur,
s'impose dès l'abord, impérieusement à lui.
» Quand on essaie d'analyser ce qui fait cette atmosphère, on y
trouve, d'abord, un effet du cadre géographique, du climat, - celui des
régions désertiques, fait de chaleur sèche, de ciel bleu, de poussière, de
nuits claires, - commun à tous les Etats qui ont été constitués, par des