1959 - Université Libre de Bruxelles

SIGNIFICATION DE NIETZSCHE POUR NOTRE ÉPOQUE 79
peu d'estime pour lui (16). Pour Nietzsche, la résignation définit
l'esprit religieux; de là son hostilité au bouddhisme et à
Schopenhauer. Nietzsche reste en effet dans la tradition de la
philosophie allemande, mystique de l'action depuis Maître
Eckhart (17). Faust de Goethe l'a exprimée mals Nietzsche
l'estime encore trop méditatif. Faust explore le monde au lieu
de le libérer (18). Une longue patience (amor fati et l'éternel
retour du semblable) ne suffit pas à l'homme d'action, il doit
aussi être -capable de nier. Pour Nietzsche, tout acte est une
négation : idée importante empruntée à Hegel (19) par l'intermédiaire
de Schopenhauer. La volonté, par laquelle
l'homme ressemble au lion, est d'essence négative et dès lors
véritablement satanique. En ce qui concerne la théorie de la
volonté, Hegel aussi bien que Schopenhauer ont d'ailleurs
(16) A Peter Gast (3 oct. 1879): « über Luther bin ich nach langerer
Zeit aufier Stande, in ehrlicher Weise etwas Verehrendes zu sagen ... »
(17) S. HAMPE, Der Begriff Tat bei Meister Eckhart, Weimar, 1926,
signale l'affinité de Fichte avec Eckhart. Il indique aussi que la notion
d'acte touche à l'essence même de la pensée allemande.
(18) Schopenhauer aIs Erzieher, Werke, Leipzig, Kroner, 1917,
pp. 425-426. « Der Mensch Goethe's ist keine so bedrohliche Macht, ja in
einem gewissen Vers tan de sogar das Correctiv und Quietiv gerade jener
gefahrlichen Aufregungen, denen der Mensch Rousseau 's preisgegeben
ist ... denn er hafit jedes Gewaltsame, jeden Sprung - das heifit aber :
jede That; und so wird aus dem Weltbefreier Faust gleichsam nur ein
Weltreisender. »
Menschliches - Allzumen3chliches, II, Werke, III, 264. Goethe était
d'une nature trop paisible pour discerner la part démoniaque de Faust,
de sorte qu'il le considérait comme un « homme bon » aux « propensions
obscures », que le ciel finit par recueillir. De même Gretchen, « la
petite couturière n, est « die gute Seele, die nur einmal sich vergessen ».
Cf. aussi Werke, XIII (Unveroffentlichtes aus der Umwertungszeit
1882/83-1888), pp. 334-335. « Was ich an den Deutschen gerne wahrnehme,
rlas ist seine Mephistopheles-Natur : aber die Wahrheit zu sagen,
man mun sich einen hoheren Begriff von Mephistopheles machen, aIs
Goethe, der nothig hatte, um seinen "inwendigen Faust" zu vergrofiern,
seinen Mephistopheles zu verkleinern. Der wahre deutsche Mephistopheles
ist viel gefahrlicher, kühner, boser, verschlagener und folglich
offenherziger : man denke sich das Inwenrlige von Friedrich dem Gro.Ben,
oder von jenem viel grosseren Friedrich, jenem Hohenstaufen Friedrich
II)). Et Nietzsche s'appelait Frédéric lui aussi...
(10) Cf. Phllnomenologie des Geiste3, Stuttgart, Frommann, 1951
(Jubilaumausgabe, éd. H. Glockner), pp. 103, 110-114.
Cf. aussi A. KOJÈVE, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard,
1947, p. 69 : « La psnsée naît d'une négation, c'est-à-dire d'une
action (du travail). »