1959 - Université Libre de Bruxelles

320 PIERRE RUELLE
cription d'un état d'une langue). Laissons-lui la parole: « La
première chose qui frappe quand on étudie les faits de langue,
c'est que pour le sujet parlant leur succession dans le temps
est inexistante: il est devant un état. Aussi le linguiste qui
veut comprendre cet état doit-il faire table rase de tout ce qui
l'a produit et ignorer la diachronie. Il ne peut entrer dans la
conscience des sujets parlants qu'en supprimant le passé.
L'intervention de l'histoire ne peut que fausser son jugement
(11). »
Ainsi, pour Saussure, synchronie et diachronie sont irréductibles
l'une à l'autre et par conséquent, « il faut à tout
prix situer chaque fait dans sa sphère et ne pas confondre les
méthodes » C 2 ). Comment dans ces conditions, les théories
saussuriennes ont-elles pu à la longue faire progresser la
grammaire historique? C'est que les successeurs du linguiste
suisse ont mis en pleine lumière deux notions qu'il avait
définies, le système et la fonction, et ont signalé l'importance
d'une troisième, la structure. Voici en bref de quoi il s'agit.
Chaque langue, à tout moment de son devenir, est constituée
par un ensemble de mots, de constructions liées par des relations
multiples et, en règle générale, fortement senties par
les usagers. Elle est ainsi un vaste système qui se subdivise
en systèmes plus petits. Je cite quelques exemples de ces derniers,
choisis à différents niveaux: système des voyelles
nasales, système temporel du verbe, système des propositions
hypothétiques introduites par si. Chacun de ces systèmes appartient
en propre au français et tout élément qui y figure permet,
par comparaison inconsciente avec tous les autres, d'exprimer
une idée particulière. Tout idiome est donc, en ce sens, une
collection ordonnée de matériaux dont n'importe qui peut user
à sa guise sans que sa volonté puisse cependant la modifier
en aucune manière.
Chaque élément du système, ai-je-dit, a sa fonction, il concourt
pour sa part à la clarté du discours ou plus exactement
il contribue à préciser ou à rectifier le schéma mental qu'un
interlocuteur veut recréer dans l'esprit d'un autre. Un ou deux
(11) F. DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, p. p. C. BaBy
et A. Sechehaye, 4 6 éd., Paris, Payot, 1949, p. 117.
(12) Ibid., p. 140.