1959 - Université Libre de Bruxelles

LA GRAMMAIRE HISTORIQUE DU FRANÇAIS 319
Histoire de la langue française dont la publication se poursuit
de nos jours -, celles de Sneyders de Vogel en 1918, de
Lerch en 1925, de Nyrop en 1925-1930, d'Ettmayer en 1930 et,
plus près de nous, de Gamillscheg en 1957.
Quelles sont les causes de ce retard et de cette lenteurP On
serait tenté de répondre, reprenant les paroles prononcées par
Protagoras sur une matière bien différente, que c'est « l'obscurité
de la question et la brièveté de la vie humaine )). De fait, le
sujet est immense, les frontières de la syntaxe avec la morphologie
d'une part, la stylistique d'autre part ne sont pas toujours
nettement tracées, la comparaison avec les autres langues
romanes est difficile, car il ne peut exister de répertoires de constructions
comme il existe des dictionnaires, les raisons esthétiques
ou psychologiques qui ont imposé à un auteur ou à une
époque un tour surprenant pour nous peuvent être étrangères
à notre sens esthétique et à notre psychologie. On ne sera donc
pas étonné d'apprendre, par exemple, qu'il n'existe pour le
moyen français, limité aux. XIVe et xv e siècles, qu'un seul et
assez timide essai de synthèse : cent cinquante pages publiées
cette année même CO). Ainsi la syntaxe historique du français
est aujourd 'hui encore un domaine largement ouvert aux chercheurs.
Je vous ai montré la grammaire historique cherchant et
trouvant des fondements et une méthode. Nous l'avons vue
devenir une sorte de D'licro-cinématographie du langage, de
plus en plus minutieuse et attentive, obéissant chaque jour
davantage à une inspiration analytique. Elle aurait pu continuer
dans cette voie et dans cette voie seule, ajoutant les
détails aux détails et bornant là son ambition.
En réalité, les exigences de l'esprit de synthèse ont provoqué,
d'une manière assez inattendue, une réaction qui ne se
développe vraiment, pour la discipline qui nous occupe, que
depuis une vingtaine d'années.
Dans des cours professés au début de ce siècle, le Genevois
Ferdinand de Saussure avait montré avec éclat l'antinomie,
absolue selon lui, entre la diachronie (entendez par là la
grammaire historique) et la synchronie (c'est-à-dire la des-
(10) R. GARDNER and M. A. GREENE, A brie! description of Middle
French syntax, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1958.