1959 - Université Libre de Bruxelles

IBN BATOUTA ET SIR HAMILTON GIBB 291
Au premier abord, Ibn Jobaïr et Ibn Batouta présentent
des traits communs. Ils paraissent d'autant moins dissemblables
que les œuvres qui nous les font connaître appartiennent
au même genre et que, pour l'un comme pour l'autre, le pèlerinage
à La Mecque en a été l'occasion. De plus, si le voyageur
du XIIe siècle et celui du XIVe avaient pu se trouver ensemble,
ils ne se seraient peut-être pas crus d'un temps très différent.
Pour les mœurs, les idées et la langue, l'époque de Saladin,
décrite par Ibn Jobaïr, ne paraît pas, à la première vue, tout
autre que celle des Mamelouks, évoquée par Ibn Batouta. Les
deux auteurs sont, au reste, de l'ouest arabe ou Maghreb et convaincus
tous les deux que cette région est supérieure et préférable
au reste du monde. M. A. Abel (43) a bien analysé ce milieu.
Il a trouvé qu'il y régnait un certain obscurantisme berbère et
malékite, mais il y a découvert aussi, tant en Espagne, où Ibn
Jobaïr a vécu, qu'au Maroc, patrie d'Ibn Batouta, la survivance
tenace de l'individualisme uni à la culture (44). Or c'est là une
cause de variété et d'originalité. La comparaison des deux rihla
en montre les effets.
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Pour la culture, Ibn Jobaïr est supérieur, bien que son
horizon soit borné au monde arabe. Ibn Batouta a vu, de plus,
Byzance, l'Inde, la Chine et tant d'autres lieux, mais il doit son
savoir à l'expérience plutôt qu'à la lecture et à l'étude (45). Selon
les notices contemporaines que Sir Hamilton Gibb nous a fait
connaître, il n'avait que modérément la science en partage (46).
Ibn Jobaïr était un homme de lettres. Il a encore écrit d'autres
ouvrages que son voyage, des poèmes notamment, et les quelques
passages des poètes qu'il a insérés dans son récit, sont
choisis avec plus d'à propos et de goût que ceux qu'on trouve
chez Ibn Batouta et dont Sir Hamilton Gibb a si bien rendu le
ton.
A la vérité, Ibn Batouta n'en est pas toujours responsable.
(43) A. ABEL, Spain, Internal Division, dans Unit y and Variety in
Muslim Civilization, Chicago, 1955, pp. 207-230.
(44) ABEL, op. cit., p. 217 : « The taste for luxury, for softness, and
an intellectual curiosity were the results of individualism and of a
tradition of culture ... »
(45) V. Sel., p. 12.
(48) Trav., p. IX : « He had a modest share of the sciences. ))