1959 - Université Libre de Bruxelles

LA GRAMMAIRE HISTORIQUE DU FRANÇAIS 311
sons, des mots, des tournures, si on s'efforce d'identifier les
causes des changements, alors seulement on élabore la grammaire
historique. Il ne semble pas que l'Antiquité ni le moyen
âge y aient songé le moins du monde. Mais les érudits de la
Renaissance allaient s'y essayer. Ils le firent d'abord très maladroitement.
Se fondant sur des ressemblances fortuites, aveuglés
par un parti pris religieux, certains rattachèrent le français
à l'hébreu parce qu'ils interprétaient naïvement le mythe
biblique de la tour de Babel. D'autres, et non des moins
savants, puisque l'on relève parmi eux le nom de Guillaume
Budé, font venir le français du grec. Mais ces illusions d'érudits
n'eurent jamais une large audience. La filiation latine du français,
au contraire, encore qu'expliquée de diverses manières,
fut très -tôt admise par nombre d'esprits distingués. Henri
Estienne, vite revenu de l'erreur qui lui faisait d'abord rattacher
le français au grec, montre toute l'importance du latin
populaire pour les origines de notre langue. Etienne Pasquier
croit que le français, comme l'italien et l'espagnol, provient en
majeure partie du latin. Le président Claude Fauchet écrit en
1581 : « Quant au langage duquel nos predecesseurs ont usé
depuis que les Romains furent chassez de la Gaule jusques au
Roy Hue Capet et ses enfans, je croy qu'on le doit appeler
Romand plutost que François: puis que la plus part des parolles
sont tirees du Latin. La longue seigneurie que les Romains
eurent en ce pais y planta leur langue; et se trouvent d'assez
bons tesmoignages que quand les Frans entrerent en la Gaule,
le peuple parloit ja un langage corrompu du Romain et de
l'ancien Gaulois. »
On ne peut parler d'intuition géniale à propos d'Estienne,
de Pasquier ou de Fauchet. Leurs conclusions étaient fondées
sur une observation scrupuleuse de la langue et, du moins
pour le président Fauchet, sur une admirable connaissance des
anciens textes français. Pourtant, si leurs vues étaient exactes
dans l'ensemble, leur système de preuves était faible ou, pour
mieux dire, pratiquement inexistant. Entendez par là qu'il eût
été impossible à un esprit honnête et suffisamment instruit de
vérifier les résultats en refaisant les opérations qui avaient
permis d'y aboutir, ces opérations n'étant pas indiquées. Mais