1959 - Université Libre de Bruxelles

LA GRAMMAIRE HISTORIQUE DU FRANÇAIS 325
guistiques et celle des structures mentales peuvent donc s'éclairer
mutuellement, du moins pour l'époque actuelle. Il va de soi
que pour le passé, c'est seulement l'étude de la langue et de
de son système en évolution qui pourra nous renseigner sur les
manières dont l'esprit, au cours du temps, a pris contact avec
le réel.
J'ai prononcé le mot sociologie. On voit aisément comment
les formes sociales et les changements sociaux influencent le
vocabulaire. On le voit moins immédiatement pour la phonétique,
la morphologie et la syntaxe. Je ne puis songer à multiplier
les exemples. Mais que l'on pense aux effets de
l'instruction obligatoire sur le français, ne serait-ce que par
l'action de la langue écrite sur la langue parlée; que l'on se
rappelle le rôle de gardiens de l'orthographe traditionnelle
joué par les éditeurs et imprimeurs, rôle intéressé et qui n'est
pas sans incidence sur la prononciation; que l'on se demande
ce qui a popularisé des tournures comme « Achetez belge » et
(t Votez radical» si ce n'est la propagande commerciale et politique.
Des faits analogues se sont produits dans le passé: phénomènes
religieux, juridiques, économiques, prédominance
d'une classe sociale ou d'une autre, tout cela n'est pas sans
avoir laissé de traces. L'effort, gigantesque mais peut-être un
peu prématuré, d'un Ferdinand Brunot pour les relever systématiquement
devra être continué à la lumière des découvertes
nouvelles en sociologie.
On me dira : « Le programme que vous évoquez n'a rien
de propre au français. Il peut convenir à n'importe quelle
langue. » J'en tombe d'accord et je m'en réjouis, On a pu jusqu'ici
étudier pour elle-même la grammaire historique du
français et une telle étude reste profitable. Mais on ne peut
indéfiniment compartimenter les sciences. La grammaire historique
du français, comme celle des autres langues, aura de
plus en plus pour mission de fournir des éléments à une linguistique
gé.nérale, c'est-à-dire en fin de compte à une meilleure
connaissance de l'homme.