1959 - Université Libre de Bruxelles

64 E. NOULET
« Religion et Poésie, dit encore Thibaudet, les deux idées, dans
leur ciel platonicien, tournent ici l'une sur l'autre ».
Sans aucune preuve de la présence divine dans le tabernacle,
pense Mallarmé, une dévotion s'établit néanmoins,
autour de la croyance en la Présence réelle, dévotion édifiante,
communicative, exaltante.
La Cause absente, l'effet miraculeux continue de s'obtenir
et d'agir.
D'où il résulte que seuls importent le cérémonial, les salutations,
les évolutions et les gestes, la lecture de l'Evangile,
les chants, le chœur et les agenouillements. Il n'en résulte pas
que Dieu doive exister. Dans la conception d'un culte futur,
il n'en résulte pas que l'Œuvre doive être là, sous les espèces
du Livre: « ••• par-delà tout décor et tout épanouissement extérieur»,
il suffisait qu'elle fût indiquée « par des allusions,
par un jeu mouvant et des courbes légères ... )) (8).
Les rites laïques, se déroulant au nom du Livre, « motif
à rendez-vous fervent» (9), créeraient, eux aussi, simultanément,
deux résultats bienheureux: provoquer en chacun des
assistants une élévation de la pensée vers une notion souveraine,
explicatrice de Tout, acte de foi, acte d'espérance; assurer,
par la direction commune de cette élévation, ce que l'Eglise
appelle la communion des fidèles, acte de charité.
Le Livre est donc comme Dieu, nécessaire, présent, inexistant.
De Dieu, il a les attributs : incontestable, inépuisable, inexprimable.
Partant, si le Livre ne devait pas exisler P
S'il n'était pas nécessaire qu'il existât~
Aux fins secrètes de Mallarmé, s'il suffisait que son existence
fût postulée ~
Il ne serait dès lors plus question d'écrire le Livre, mais
de le décrire. Il ne faudrait qu'organiser sur le modèle éprouvé
de la Messe, « prototype de cérémonials », le culte qui doit l'entourer,
le révérer, le révéler, puisque, en vérité, (intervertissons
les termes de la formule de M. Schérer) Le Théâtre implique
le Livre.
Pour peu qu'on interroge les textes et qn' on lise, par
. '['
(1) A. THIBAUDET, article cité, p. 554.
(') La COUT. Divagations.