1959 - Université Libre de Bruxelles

LÉO ERRERA CHEZ VICTOR HUGO 245
une pure satisfaction d'amour-propre: pouvoir dire, la main
qui a tracé tant de chefs d'œuvres, ma main l'a pressée; ce
regard où brille tout l'éclat du génie, mon regard l'a rencontré;
j'ai entendu parler cette voix si éloquente, j'ai vu ce front où
« tant d'œuvres ont germé ... ». Mais cette satisfaction-là est
petite à côté de l'autre. Car, par cette visite, je connais un côté
charmant de plus dans cette personnalité grandiose; j'ai vu de
près, ce qu'on ne voit que de loin et grossi par l'admiration
aveugle ou amoindri par la jalousie systématique. J'ai contemplé
- chose toujours agréable - Jupiter dépouillé de ses
foudres, ou comme dit Hégésippe,
« J'ai vu Bérangère en chemise
Et Byron en bonnet de nuit!» -
Voilà, cher Monsieur, dans tous ses détails cette entrevue
dont je garderai longtemps, toujours, le souvenir!... Si je vous
en ai tant dit c'est que je sais que tout est intéressant lorsqu'on
parle de ces hommes-là, que tout mérite d'être conservé quand
ce sont des reliques d'une telle valeur 1 Voilà pourquoi je me
sens tout fier et tout heureux d'avoir connu ce vieillard qui,
s'il touche peut-être déjà d'une main la Mort, il embrasse et
il tient certes de toutes les deux, la plus glorieuse immortalité!
-
Excusez, je vous prie, cher Monsieur, un si affreux gribouillage
: j'ai dû écrire ces lignes constamment interrompu
par les entrées et les sorties les plus continues, et en me
dépêchant bien fort afin d'être (prêt) pour aller à l'Opéra.
A bientôt, j'espère, cher Monsieur; je tâcherai de venir
vous voir un de ces dimanches, car je repars demain pour nos
Pénates. Si donc vous m'honorez d'une réponse, c'est à Bruxelles
qu'il faudra l'adresser. - Je vous parlerai aussi des
mille autres choses vécues ici à Paris, ainsi que de votre
(un mot illisible et souligné) Sévigné. J'ai des masses de
choses (je n'ai pas le temps de trouver un meilleur mot) à
vous dire, à vous lire et à vous écrire.
Tout vôtre,
LÉo.