1959 - Université Libre de Bruxelles

322 PIERRE RUELLE
linguistique (U). On y verra notamment les répercussions
considérables sur la syllabe, sur le mot, sur la phrase, d'un
phénomène qui, à première vue, pourrait sembler minime :
le renforcement de l'accent expiratoire dans la Gaule du Nord.
Il me reste à vous présenter un dernier groupe de linguistes
occupés de grammaire historique.
On peut concevoir qu'une discipline linguistique étudie les
phonèmes (consonnes et voyelles) uniquement du point de vue
de leur fonction telle que je l'ai déjà définie. Une telle discipline
structuraliste existe, c'est la phonologie descriptive, créée voici
une trentaine d'années par les linguistes de l'école de Prague.
Dire qu'elle a réussi à décrire d'une manière satisfaisante le
système phonétique du russe ou du tchèque est peut-être vrai.
Pour le français, ce serait exagéré. Néanmoins, sur certains
traits phonétiques de notre langue, les observations des phonologistes
sont intéressantes. Dans le cadre de cet exposé, la
question qui se pose à nous est celle-ci : la phonologie peut-elle
éclairer si peu que ce soit l'histoire des phonèmes du françaisP
La phonétique historique indique que tel phonème latin
aboutit à tel autre dans le français actuel. Elle note en outre le
plus grand nombre possible de stades intermédiaires et précise
les changements particuliers qui s'opèrent lorsqu'un phonème
se trouve dans un voisinage donné. Mais elle ne se hasarde que
timidement à offrir des explications plutôt que de simples relations.
Les causes d'ordre général qu'elle envisage, comme la
loi du moindre effort ou la force de l'accent expiratoire, sont
loin d'expliquer tous les changements. En somme, la phonétique
historique indique le comment, rarement le pourquoi.
La phonologie allait-elle réussir là où la phonétique historique
classique avait échouéP Autrement dit, une phonologie diachronique
était-elle appelée à un brillant avenir P
Il faut avouer qu'en français du moins, vingt ans d'efforts
dans ce sens n'ont guère été couronnés de succès. Ayant relu
nombre d'études parues ces dernières années, je n'en ai pas
trouvé une seule dont l'argumentation ne fût discutable et
d'ailleurs vigoureusement discutée. Je ne puis dans une revue
générale comme celle que j'ai entreprise aujourd'hui vous faire
entendre l'écho des opinions en conflit. Pourtant, au risque de
(14,) Paris, P. U. F., 1946. Voy. notamment pp. 162 55.