1959 - Université Libre de Bruxelles

306 H. F. JANSSENS
L'œuvre que Sir Hamilton Gibb a consacrée à l'islam est
un monument. L'étendue, la solidité et les proportions en sont
admirables. A première vue, l'aspect en est toutefois sévère.
On pourrait appliquer à la plupart de ses livres ce qu'on
vient d'écrire d'un des derniers. On en a dit qu'il est « cast
very much in the form of a work for specialists », et qu'il
« makes, perhaps fortunately, very few concessions to the
desire of the ordinary reader to be pleased or to his wide ignorance
of the subject (61)).
Mais prenez garde! Ses productions vous ont la précision
froide et la simplicité intentionnelle qui ont été, chez certains,
l'indice d'une ironie 'contenue. Se pourrait-il que ce savant,
dont les ouvrages reflètent la gravité et le sérieux, ait écrit
quelquefois « with his tongue in his cheek )) P
On se le demande en lisant sa traduction des poèmes cités
dans le rihla. Par exemple là où il se plaît et même, dirait-on,
s'amuse à faire rimer reckless et necklace, comme un virtuose
du limerick (62).
On le soupçonne, en se rappelant quelques-unes de ses
remarques:
A propos du mystérieux pays de Ta"ralisi, où Ibn Batouta
prétend avoir été, c'est avec un plaisir évident qu'il cite la
phrase où Yule avoue « a faint suspicion that Tawalisi is really
to be looked for in that part of the atlas which contains the
marine surveys of the late captain Gulliver » (63). Vraiment,
Sir Hamilton, vous devez goûter fort chez vos Arabes aussi, et
spécialement chez Ibn Batouta, l'humour qu'ils ont associé, ce
semble, à d'autres traits, comme la maîtrise de soi, tant appréciés
par les Anglais (64).
La vie galante et la carrière matrimoniale du voyageur,
pourrait-on l'évoquer mieux que par votre expression idiomatique
« uxorious to a degree)) (65) P Des pages n'en diraient pas
davantage. Elles le diraient moins bien. Pour le problème que
suggère un de ses anachronismes les plus troublants, vous con-
(61) Dans The Times Literary Supplement, 1958, p. 272, à propos
de H. A. R. GIBB et H. BOWEN, Islamic Society and the West.
(62) Trav., p. 102.
(63) Sel., p. 368, n. 9. Cf. YULE, Cathay and the Way Thither,
éd. l'ev. par CORDIER, vol. IV, Hakluyt Society, Londres, 1916, p. 158.
(14) Cf. Fr. ROSENTHAL, Humor in Early Islam, Leyde, 1956.
(65) Sel., p. 2.