1959 - Université Libre de Bruxelles

RÉPONSE À MOI-MÊME 63
Il est non moins vrai que ce sujet, à un certain moment,
a cessé de le hanter. C'est l'avis de Thibaudet qui a, mieux que
quiconque peut-être, suivi les méandres de la pensée mallarméenne
: Quand il a médité sur le th~âtre, il s'est aperçu que
c'était presque inutile, le théâtre pur se trouvant réalisé dans
la messe CS). Or, si le spectacle de la Messe a conduit Mallarmé
à abandonner l'idée d'un théâtre absolu, la Messe et son spectacle
n'ont pas, pour autant, perdu leur importance à ses yeux;
dépouillés de leur signification religieuse, ils gardent leur
signification psychologique (6). Aussi bien, l'Eglise refuseraitelle
de considérer la Messe comme un simulacre dont l'efficace,
au long des temps, reste aussi sûr que le spectacle réel de la
Passion P La Liturgie est-elle autre chose qu'un Jeu figuratif
que conduit une intelligence prévenue et où se prennent les
âmes balbutiantes P
Cart on le, sait, vers 1865-1866, lors des années décisives de
Tournon, Mallarmé se vit dépossédé, non sans souffrance et
sans lutte, de la foi de son enfance. A ce vieux et méchant
plumage, terrassé, heureusement, Dieu, il oppose désormais un
absolu moins consolant: J'ai fait une assez longue descente au
néant pour pouvoir parler avec certitude (1).
A partir de là, pour Mallarmé, le culte catholique devenait
sans objet tandis qu'il lui parait toujours éminemment efficient
et didactique.
Le projet d'une substitution dut naître en lui, dévot de
la Poésie qui pouvait bien renoncer à l'idée d'un théâtre pur
puisqu'elle était, depuis des siècles, réalisée et perfectionnée,
non point à celle d'une œuvre orphique compensatrice et sur
laquelle il jouait sa gloire.
Convaincu que, par une sorte de transmutation spirituelle,
le Poète (ou le Héros ou le Prêtre) change le Drame (ou le
Théâtre) en Mystère -dont il dégage l'Hymne, Mallarmé a envisagé
de substituer le mystère poétique au mystère religieux :
(5) A. THIBAUDET, Réflexions sur la Littérature. Epilogue à La Poésie
de Stéphane Mallarmé (N. R. F., 1 er nov. 1926, p. 556).
(6) C'est ce que Jacques Schérer a exposé dans son chapitre,
Thédtre et Religion. Que n'a-t-il été jusqu'au bout de son propre raisonnement
et de ses propres rapprochements de textes! Je crois qu'avec
Mallarmé, il faut toujours aller jusqu'au bout.
e) Lettre de Besançon du 14 mai:' 1867 dont il ne faut pas cesser
de rappeler l'importance et la beauté.