1959 - Université Libre de Bruxelles

IBN BATOUTA ET SIR HAMILTON GIBB 285
bien, que le sultan du Maroc, Abou-Ainan, lui fit dicter ses
souvenirs à un scribe très lettré, qui leur donna la forme sous
laquelle ils nous sont parvenus. Il avait voyagé sans hâte et
souvent il s'était arrêté longuement. Partout il avait considéré
avec attention les pays, leur faune et leur flore, ainsi que les
villes et leurs monuments; il avait été particulièrement attentif
à la production, à la consommation et au commerce; mais,
ce qui l'avait intéressé le plus, c'étaient les hommes et leurs
mœurs.
Son récit est une source presque inépuisable de renseignements
pour l'histoire de l'Orient au XIVe siècle. On ne connaît
que par lui ce qui s'est passé à cette époque dans plusieurs
pays. Malgré les réserves de la critique concernant de certains
passages, aucun document n'évoque d'une manière plus
vivante, dans l'ensemble et dans les détails, du Maroc à la
Chine et de l'Oxus au Niger, tel qu'il était alors, le vaste monde
de l'Afrique et de l'Asie, encore presque fermé aux Européens,
mais largement ouvert aux voyageurs mahométans.
D'autres musulmans nous ont laissé la relation de leurs
voyages. Aucun ne mérite comme lui d'être appelé, - et il l'a
été déjà de son vivant, - par excellence cc Le voyageur de
l'islam ». Ayant parcouru plus de cent mille kilomètres, c'est
même un des plus grands voyageurs de tous les temps.
Sir Hamilton Gibb mesure sur l'avancement de la géographie
le progrès des civilisations et juge par lui celle des
Arabes. Sans qu'il le nomme, il paraît avoir pensé à Ibn Batouta
quand il a écrit: « Geography, - perhaps the most sensitive
barometer of culture, - flowered in aIl its branches, political,
organic, mathematical, astronomical, natural science and travel
un volume) sans disposer de notes (car même s'il en avait pris, il les
aurait perdues dans ses naufrages). Pour confirmer cette opinion, je
remarque que notre voyageur doit avoir commencé sa carrière de « raconteur
)) au cours de son voyage déjà, et même assez tôt. Un étranger qui
venait de loin et savait raconter était pour les gens de cette époque,
surtout pour les princes, une source d'information très appréciée; le
combler de largesses, ce n'était pas seulement le récompenser mais aussi
s'assurer une bonne réputation auprès de tous ceux que le voyageur irait
visiter. Plus il avait derrière lui de chemin et d'expériences, plus il
acquérait d'importance et de bien-être. C'est donc un récit créé au fur
et à mesure, in instalments, et, par conséquent, bien imprimé dans la
mémoire » •