1959 - Université Libre de Bruxelles

Comment jugeait-on l'art des van Eyck
au siècle dernier?
par S. SULZBERGER,
Professeur à l'Université
Vers la fin du XVIIIe siècle, l'art des primitifs flamands
semblait voué à l'oubli. Ln mouvement de réhabilitation
s'amorce bientôt mais se heurte à une opposition marquée; ce
n'est qu'au prix de grands efforts que l'on parvient à retrouver
la personnalité géniale de Jean van Eyck dont l'œuvre - sans
avoir jamais été complètement ignorée - était généralement
considérée comme peu attrayante, empreinte d'une raideur
gothique. A propos du « fameux tableau représentant l'Agneau
de l'Apocalypse» à Gand, G. P. Mensaert écrit: « Si on n'était
pas prévenu de l'ancienneté et de la rareté de cette pièce, on
la passerait cent fois sans y faire attention ». (Le Peintre amateur
et curieux, Bruxelles, 1163, t. II, p. 20).
Malgré ces réticences, l'idée répandue que les van Eyck
sont les inventeurs de la peinture à l'huile leur confère un
certain prestige. A Gand, en 1169, Jean-Baptiste Descamps
note « un tableau où les vieillards adorent l'Agneau; composition
curieuse, peinte par les frères van Eyck, le premier je
crois qui a été peint à l'huile, c'est son plus grand mérite (1) )).
l\fais une douzaine d'années plus tard, le peintre Josuah Reynolds
signale qu'il est prouvé, sans aucun doute possible, que
cette invention est injustement attribuée aux van Eyck sur la foi
de Vasari; pourtant il admire à Bruges la Madone du Chanoine
van der Paele et constate que cette œuvre « retient sans
doute plus notre attention pour avoir été peinte par un homme
(1) J. B. DESCAMPS, Voyage pittoresque de la Flandre et du Brabant,
2 f éd., Paris, 1769, p. 264.