1959 - Université Libre de Bruxelles

298 H. F. JANSSENS
On lui a rédigé ses souvenirs et ces citations y ont été introduites
par le rédacteur, qui, au reste, nous en avertit. Pour la
même raison, on ne doit pas lui reprocher l'enflure de sa préface
et, ailleurs, les imperfections de son style, que les connaisseurs
arabes n'ont jamais admiré, alors qu'ils apprécient celui
d'Ibn Jobaïr. Ce dernier se raille, à l'occasion, de l'emphase
des orateurs et de l'artifice des écrivains.
La relation d'Ibn Batouta présente toutefois des qualités
dont le voyageur lui-même a le mérite, car elles supposent un
narrateur ayant vu et vécu ce qu'il raconte. Elles percent et
frappent, à vous faire oublier que le récit a été remanié et
arrangé. Ce sont le naturel, la vivacité et l'accent de sincérité.
Avec tout son désordre et toutes ses négligences, Ibn Batouta
paraît parfois plus spontané qu'Ibn Jobaïr qui, pourtant « fixe
ses impressions avec simplicité et finesse dans une langue excellente
Cu') )) et qui a veillé davantage à la composition.
Ibn Batouta tombe dans les parenthèses. Il s'égare dans les
digressions. Son rédacteur aussi, au point qu'il doit souvent
dire: « Mais revenons au récit de notre voyageur. )) Ibn Jobaïr
s'excuse, au contraire, quand il a fait une excursion hors de son
sujet. Tous deux ont laissé le récit d'un naufrage. Ibn Batouta
y est diffus, tandis qu'Ibn Jobaïr nous tient en suspens avec
plus de savoir-faire.
Raconteur attachant de petits faits et d'anecdotes, Ibn
Batouta relève le piquant et le curieux. Ibn Jobaïr discerne
l'essentiel. Il décrit mieux aussi. Il nous fait entendre le bruit
des foules et voir les couleurs d'un paysage. Ibn Batouta aurait
été bien empêché de faire lui-même les descriptions précises et
complètes des monuments de La Mecque, de Médine, d'Alep et
de Damas, que son rédacteur a tout simplement empruntées à
Ibn J obaïr, pour les mettre dans son rihla à lui. De fait, il n'a
jamais été très exact.
Ibn Jobaïr, qui parle uniquement de pays que ses lecteurs
pouvaient connaître, n'a pas exagéré. Ibn Batouta, qui revenait
de Constantinople, de Samarkand, de Delhi, de Canton, de
Tombouctou, aimait à étonner. Il n'y a que trop réussi. Ses
contemporains, et aussi les nôtres, ont pensé qu'il avait abusé
quelquefois du privilège de ceux qui viennent de loin. Ses indications
itinéraires et les dates qu'il donne pour ses étapes ont
(41) M. GAUDEFROy-DEl\fOMBYNES, op. cit., l, p. Il.