1959 - Université Libre de Bruxelles

324 PIERRE RUELLE
une science qui n'est d'ailleurs ni médiocre ni petite puisqu'elle
a pour objet une des langues les plus prestigieuses du
monde, n'est-ce pas. une démarche qui est la démarche même
de la Science 1
Mais quels sont à l 'heure actuelle les objectifs que la grammaire
historique du français peut raisonnablement se proposer ~
Il lui reste avant tout à poursuivre l'étude de l'évolution structurale.
En phonétique d'abord. Les résultats acquis à l'heure
présente par la phonologie sont certes limités, mais rien ne
permet encore d'affirmer que l'on s'est, de ce côté, engagé dans
une impasse. En matière de morphologie, si les désinences
casuelles ou personnelles ne peuvent plus guère réserver de
surprises, l'étude de la dérivation depuis les origines de la
langue pourra être continuée avec profit. En syntaxe enfin, il
faudra pendant longtemps encore étudier scrupuleusement les
emplois, les relations et les constructions aux diverses époques
avant que puisse être entreprise une véritable syntaxe historique
du français. Précisons bien qu'une telle opinion ne tend
nullement à diminuer les mérites d'un Tobler, d'un Lerch ou
d'un Gamillscheg. Elle signifie seulement que le travail d'exploration
du passé devra être poursuivi jusqu'à ce que nous possédions,
disons pour chaque siècle et dans la mesure où les
documents le permettent, l'équivalent du travail de DamoureUe
et Pichon, Des mots à la pensée. C'est alors seulement
qu'une synthèse historique aura toute sa valeur. Il va sans dire,
qu'elle ne pourra jamais être qu'un travail d'équipe.
Dans les divers domaines que je viens d'évoquer, les causes
réelles de l'évolution devront, me semble-t-il, être cherchées
avec moins de scepticisme que jusqu'à présent. Et ainsi une
nécessité déjà évidente aujourd'hui se fera de plus en plus pressante:
celle d'associer à la grammaire historique du français
des études de psychologie et de sociologie.
Notre pensée se coule sans difficulté dans les formes de
notre langue maternelle, dans la mesure où nous possédons bien
cette dernière. A chaque époque, chacun trouve naturel le s-ystème
linguistique à la fois divers et rigide que lui offre le
milieu où il vit. II s'établit entre « la pensée et la langue » un
accord aisé, sans qu'il soit parfait cependant, faute de quoi
aucune évolution ne serait possible. L'étude des structures lin-