La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 114<br />
se sont produits <strong>au</strong> cours de l’histoire, chaque fois que les représentants du<br />
pouvoir divin ont voulu empiéter sur le domaine temporel, révèlent le fond de<br />
sa <strong>pensée</strong>. Il sanctionne le divorce entre le droit naturel et le droit divin.<br />
Il pose la plume ; son mouvement est achevé, ses observations l’ont élevé<br />
jusqu’à un principe unique ; de ce principe, essence de la loi, dérivent toutes<br />
les lois du monde.<br />
Dans la pratique, c’était une <strong>au</strong>tre affaire. Quand <strong>La</strong> Chalo tais prononça<br />
son réquisitoire contre les Jésuites devant le Parlement de Bretagne, il déclara<br />
qu’il allait confronter soixante et une institutions et les règles <strong>des</strong> ordres<br />
religieux avec les principes de la loi naturelle et ensuite avec les lois positives<br />
divines et humaines, en particulier avec celles du roy<strong>au</strong>me de France ; mais<br />
<strong>des</strong> premières il ne parla plus, tout <strong>au</strong> long de son discours. Quand Morelly<br />
donna son Code de la Nature, pour répondre à ce qu’il annonçait, <strong>au</strong> désir de<br />
toute l’Europe, qui depuis longtemps demandait un traité élémen taire de droit<br />
naturel, l’Europe n’eut qu’une dissertation de plus. Il eût été à souhaiter que<br />
de tous les livres composés sur p.159 la théorie du droit, il eût résulté quelque<br />
loi utile, adoptée, dans tous les tribun<strong>au</strong>x de l’Europe, soit sur les successions,<br />
soit sur les contrats, les finances, les délits, etc. Mais ni les citations de<br />
Grotius, ni celles de Pufendorf, ni celles de l’Esprit <strong>des</strong> lois, n’ont jamais<br />
produit une sentence du Châtelet de Paris, ou de l’Old Bailey de Londres 1.<br />
Pourtant, sous la fermentation d’idées qui en apparence ne changeaient<br />
rien, une volonté de justice se renforçait. <strong>La</strong> Cité, estimant que les pouvoirs<br />
temporels abusaient de leur force, cherchait à définir une valeur inaliénable<br />
qui appartînt en propre à chacun de ses individus, et qui d’elle -même<br />
protégeât leurs droits ; elle la voulait agissante. Le fait est qu’elle agissait sur<br />
le réel ; les idées modifiaient la vie. Il y avait encore <strong>des</strong> pays en Europe où<br />
l’Inquisition jetait encore ses flammes. Si elles se sont éteintes, qui contestera<br />
<strong>au</strong>x philosophes leur part de ce bienfait ?<br />
L’esclavage, que certains expliquaient par le fait de la conquête, par les<br />
nécessités de la colonisation, par les avantages du commerce, par l’usage<br />
établi, ne pouvait se justifier ni par la nature qui confère une égale dignité à<br />
tous ses fils, ni par la raison, qui n’admet pas qu’une différence de cou leur<br />
dans le pigment de la pe<strong>au</strong> entraîne une condamnation <strong>au</strong> malheur et à<br />
l’infamie. Il se produisait donc un mouvement de <strong>pensée</strong> qui, lentement,<br />
travaillait à son abolition ; une littérature anti-esclavagiste s’élaborait qui<br />
agissait sur l’opi nion publique, et par elle sur le pouvoir. Ils survivent dans<br />
nos mémoires, les passages du chapitre cinq du quinzième livre de L’Esprit<br />
<strong>des</strong> Lois. « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête, et ils<br />
ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se<br />
1 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, article Lois, Esprit <strong>des</strong> Lois.