La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 137<br />
Pierre de recourir <strong>au</strong>x exemples et à l’histoire. Mais l’abbé de Saint Pierre<br />
fièrement s’avançait, sans s’alourdir de tan t de préc<strong>au</strong>tions. Le principe était<br />
trouvé, la nature voulait le bonheur <strong>des</strong> hommes, le droit international<br />
traduisait cette volonté de la nature, la paix devait résulter du droit<br />
international compris dans sa véritable essence ; il suffisait d’un peu de<br />
logique pour indiquer les infaillibles moyens de l’assurer éternellement.<br />
Parce qu’elles étaient le résultat d’une longue maturation, arrivée à son<br />
terme ; parce qu’elles revêtaient un caractère de simplicité qui transformait la<br />
politique en logique ; parce qu’elles répondaient à quelques -unes <strong>des</strong> volontés<br />
profon<strong>des</strong> de notre être, ces idées ont dominé la conscience de l’Europe ;<br />
après avoir conquis la partie pensante de l’Ancien Monde, elles ont donné <strong>au</strong><br />
Nouve<strong>au</strong> Monde sa liberté.<br />
Deux cents ans après que l’abbé de Saint Pierre avait fait campagne pour<br />
son Projet, son projet a été repris. Fédération <strong>des</strong> nations, assemblée <strong>des</strong><br />
délégués, ville de la paix, sont sorties du rêve pour devenir action. <strong>La</strong><br />
différence est qu’on n’a pas institué la force qu’il avait vo ulu mettre <strong>au</strong><br />
service de la grande c<strong>au</strong>se pacifique.<br />
p.188 A l’intérieur <strong>des</strong> États, ces mêmes idées changeaient les données du<br />
problème politique. <strong>La</strong> relation n’était plus de l’<strong>au</strong>torité du Prince à <strong>des</strong><br />
<strong>au</strong>torités supérieures, l’Église, l’Empire : mais <strong>des</strong> gouvernants <strong>au</strong>x<br />
gouvernés.<br />
Elles changeaient la notion du sujet : et à vrai dire, il n’y avait plus de<br />
sujets ; il y avait <strong>des</strong> citoyens.<br />
Elles changeaient la notion de souverain. L’Angleterre elle -même<br />
éprouvait le besoin de préciser la nature <strong>des</strong> liens qui assujétissaient non pas<br />
la nation <strong>au</strong> roi, mais le roi à la nation. C’est ce que faisait Bolingbroke, tout<br />
conservateur, tout chef qu’il était du parti tory, lorsqu’il publiait en 1749 ses<br />
Letters on the spirit of patriotism. Pour vivifier son parti, et pour s<strong>au</strong>vegarder<br />
le caractère héréditaire de la monarchie anglaise, il renforce la doctrine du<br />
libéralisme. Il explique que l’institution <strong>des</strong> rois est fondée sur le droit<br />
commun et sur l’intérêt général ; elle procède de deux lois instituées par le<br />
Créateur, la loi universelle de la raison, la loi particulière à laquelle chaque<br />
État s’est volontairement soumis ; c’est pour ne pas violer impunément cette<br />
seconde loi, à grand risque de troubles et de désordres, que le pouvoir se<br />
transmet de père en fils ; la monarchie héréditaire ne se soutient que parce<br />
qu’elle est la meilleure <strong>des</strong> monarchies. Encore celui qui l’exerce ne reste -t-il<br />
digne de cette faveur légitimée qu’en méritant l’estime, la confiance et<br />
l’affection de ceux qu’il gouverne ; « don gratuit de la liberté qui y trouve sa<br />
propre sécurité ». Il ne pouvait plus y avoir d’<strong>au</strong>tres rois que « patriotes », que<br />
s’identifiant avec les intérêts de la patrie, qu’acceptant les conditions que leur<br />
faisait la patrie.