La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 248<br />
insurmontable, de la richesse qui semble donnée et refusée <strong>au</strong> hasard, la<br />
rendent cruelle à ceux que ne favorise pas le sort. Cependant il f<strong>au</strong>t agir ; le<br />
présent nous échappe et s’anéantit malgré nous ; nos <strong>pensée</strong>s sont mortelles,<br />
nous ne s<strong>au</strong>rions les retenir : nous n’avons de recours que dans une activité<br />
infatigable qui oppose <strong>au</strong> perpétuel écoulement <strong>des</strong> choses un perpétuel<br />
recommencement. Il f<strong>au</strong>t agir, par conséquent, dans le sens de la durée ; il f<strong>au</strong>t<br />
agir en s’associant non pas <strong>au</strong>x forces <strong>des</strong> tructrices, mais <strong>au</strong>x forces<br />
conservatrices de l’univers ; il f<strong>au</strong>t agir dans le sens de la vertu, qui lutte<br />
contre les corruptions, les décadences, les anéantissements, et qui, en fait,<br />
triomphe du mal : car si elle était vaincue dans son combat, p.337 toujours<br />
renouvelé, l’antidote du vice disparaîtrait avec elle, et le vice amènerait<br />
l’anéantissement de notre espèce. Le vice existe, la vertu existe : parier pour<br />
le vice, ce serait parier pour la mort. On peut être la dupe du vice, on ne peut<br />
pas être la dupe de la vertu. L’homme le plus utile est celui qui donne les plus<br />
sublimes exemples de cette vertu créatrice et réparatrice : le héros. Le héros<br />
ne se traîne pas dans les bas-fonds ; il n’est pas victime de la médiocrité qui<br />
entraîne les <strong>au</strong>tres vers la ruine ; il est excessif peut-être, mais dans le grand.<br />
Il obtient la plus belle récompense, le prix qu’envient ceux même qui<br />
affectent de le dénigrer, et qui s’appelle la gloire. Il est charitable, pitoyable,<br />
familier même à l’occasion ; mais, sans perdre contact avec l’humanité dont il<br />
connaît, comprend et partage les faiblesses, il sait s’élever <strong>au</strong> -<strong>des</strong>sus d’elle<br />
pour la guider. Il dégage l’élément pur <strong>des</strong> impuretés de notre être, il l’exalte,<br />
il le fait briller. Il devient l’étoile qui, sur la mer obscure où ils cherchent leur<br />
route, dirige les marins errants.<br />
Défi jeté à tous ceux qui, avant, prenaient plaisir à dénigrer l’héroïsme ; à<br />
tous ceux qui, après, continueraient à l’avilir . Protestation d’un noble esprit,<br />
qui refusait d’admettre les compromissions envahissantes. Rappel de cette<br />
maxime éternellement vraie, qu’il n’est point de morale sans le choix du plus<br />
difficile et du plus h<strong>au</strong>t.<br />
Liberté, ou déterminisme ? — Tout dépendait de la réponse à cette<br />
question. « Je ne connais point de morale publique, ni civile, ni chrétienne,<br />
sans une conservation soigneuse du dogme de la liberté 1. »<br />
On croyait entendre deux choeurs alternés, dont le second gagnait en force<br />
et en <strong>au</strong>dace.<br />
Nous sommes libres, disait le premier, hétérogène. Nous sommes libres,<br />
Dieu nous a laissé le choix entre les deux routes dont l’une mène <strong>au</strong> salut,<br />
l’<strong>au</strong>tre à la damnation. — Nous sommes libres, l’Être suprême ne s<strong>au</strong>rait avoir<br />
fait de nous <strong>des</strong> marionnettes dont il tire les fils. — Nous sommes libres : si<br />
1 Abbé Terrasson, <strong>La</strong> Philosophie applicable à tous les objets de l’esprit et de la raison,1754,<br />
p. 96.