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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 34<br />

Il avait toujours adhéré à une religion positive ; il avait réfuté Spinoza,<br />

Locke, Bayle ; il avait protesté <strong>au</strong>ssi bien contre « la dégoûtante libre penserie<br />

<strong>des</strong> Anglais », que contre « l’env ahissant déisme, matérialisme et scepticisme<br />

<strong>des</strong> Français » ; « environ deux heures avant sa mort, sentant qu’il allait entrer<br />

dans le travail de l’agonie, il découvrit sa tête, et faisant tout l’effort que lui<br />

permettait son extrême faiblesse, et joignant les mains, il dit : « A présent,<br />

Jésus mon Rédempteur, fortifie-moi pendant cette heure... » Attitude du<br />

chrétien, qui prie et qui espère. Chrétien, il ne l’était pourtant pas, dans sa<br />

<strong>pensée</strong> profonde. Pour lui, la morale était rationnelle ; la foi était une<br />

opération rationnelle, qui n’allait pas jusqu’à croire <strong>au</strong> miracle ; p.49 et Dieu<br />

n’était en somme qu’un produit de la raison humaine. C’est dans ce sens que<br />

Christian Wolff sera interprété par ses successeurs.<br />

Quand on arrive à John Locke on reste frappé d’étonne ment. A une<br />

première apparence, en effet, sa roy<strong>au</strong>té est sans rivale et ne souffre <strong>au</strong>cune<br />

rébellion. En 1690, son Essay on human understanding a proposé une<br />

orientation nouvelle de la <strong>pensée</strong> : cet Essai reste, jusqu’à Kant, le livre de<br />

chevet de la philosophie. Le mot d’Helvetius dans le livre De l’homme,<br />

Analogie de mes opinions avec celle de Locke, v<strong>au</strong>t pour l’immense majorité ;<br />

on peut compter sur les doigts ceux qui ne l’ont pas lu, pratiqué, admiré,<br />

tandis que la foule de ses suivants est innombrable. Je ne sais s’il y a jamais<br />

eu un manieur d’idées qui, plus manifestement que celui -là, ait façonné son<br />

<strong>siècle</strong>. Il est sorti <strong>des</strong> écoles, <strong>des</strong> universités, <strong>des</strong> cercles savants, <strong>des</strong><br />

académies, pour aller jusqu’<strong>au</strong>x profanes ; il est devenu l’un d es accessoires<br />

indispensables de la mode intellectuelle. Pope raconte qu’une jeune Anglaise<br />

qui faisait faire son portrait voulut que la peintre le représentât tenant dans les<br />

mains un gros volume, les oeuvres de Locke ; et Goldsmith nous dit que les<br />

petits maîtres français ne se contentaient pas de briller par l’élégance et le<br />

raffinement de leur parure : encore voulaient-ils que leur esprit fût orné, orné<br />

par Locke. Destouches, dans sa comédie <strong>La</strong> f<strong>au</strong>sse Agnès, met en scène une<br />

jeune fille qui s’est fait passer pour folle, afin de se débarrasser d’un pré -<br />

tendant qu’elle n’aime pas ; après quoi elle montre qu’elle est parfaitement<br />

raisonnable en expliquant la doctrine de la connaissance telle qu’elle est<br />

donnée dans l’Essai. Souvent une allusion, une citat ion, un rappel non pas<br />

même <strong>des</strong> oeuvres maîtresses, mais <strong>des</strong> oeuvres les moins connues, indiquent<br />

qu’on le tient tout prêt dans les réserves de la mémoire, pièce d’or qu’on est<br />

heureux d’extraire et de faire briller en passant.<br />

Rares sont les <strong>au</strong>teurs qui vont d’instinct à toutes les ques tions<br />

essentielles, et à celles-là seulement, la croyance, la morale, la politique,<br />

l’éducation, et qui, sur tous ces grands sujets, mettent leur marque<br />

ineffaçable : John Locke a été de ceux-là. Voici qu’on découvre <strong>au</strong>jour d’hui<br />

qu’il a fait révo lution même en littérature : non seulement parce qu’il a ruiné<br />

p.50 d’un seul coup les vieilles rhétoriques et les vieilles grammaires, montrant<br />

que l’art d’écrire ne consistait pas à appliquer <strong>des</strong> règles et <strong>des</strong> préceptes, et<br />

procédait bien plutôt de l’activité intérieure de l’âme : mais parce qu’il a

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