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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 318<br />

questions suivantes : « Qu’est -ce qui a fait de la langue française la langue<br />

universelle de l’Europe ? par où mérite-t-elle cette prérogative ? est-il à<br />

supposer qu’elle la conserve ? » et où elle couronnait, avec le discours de<br />

l’Alle mand Schwab, le discours de Rivarol, qui consacrait l’hégé monie<br />

intellectuelle de la France.<br />

« <strong>Les</strong> Français ont été, depuis plus de cent cinquante ans, le peuple qui a<br />

le plus connu la société, qui en a le premier p.429 écarté toute gêne 1 ... » Autre<br />

prérogative qui expliquait la même prééminence : si l’Europe devait former<br />

une société, la France encore lui présentait un idéal. Paris était comme un<br />

grand salon, où il faisait bon c<strong>au</strong>ser, briller, écouter seulement. Ceux qui<br />

avaient eu la douceur d’y vivre, quand ils s’en allaient sans retour, gardaient<br />

la nostalgie du Paradis perdu : tel l’abbé Galiani, qui, lorsqu’il dut regagner<br />

Naples bien malgré lui, jamais plus ne se consola. Une existence s’y orga -<br />

nisait, meilleure, semblait-il, que celle dont le passé avait donné l’exemple ;<br />

un commercio umano 2, un commerce plus humain, s’y établissait ; on <strong>au</strong>rait<br />

voulu que partout fût suivi cet exemple. L’aristocratie, la h<strong>au</strong>te bourgeoisie<br />

<strong>des</strong> diverses nations, faisaient de leur mieux pour attirer chez elles ceux qui<br />

avaient su bâtir cet édifice heureux. Cela commençait par l’aménagement de<br />

la maison et par la parure <strong>des</strong> personnes, par l’oeuvre <strong>des</strong> cuisiniers, <strong>des</strong><br />

sommeliers, <strong>des</strong> perruquiers, <strong>des</strong> tailleurs ; en prenant la frisure et<br />

l’habillement <strong>des</strong> Français, on prenait leur ton. Lorsque les couturières de la<br />

rue Saint-Honoré envoyaient dans les gran<strong>des</strong> villes de l’étranger, pour être<br />

exposée <strong>au</strong>x vitrines, la poupée habillée à la dernière mode de Paris, elles<br />

exerçaient leur part d’influence sociale ; comme les modistes ; comme les<br />

maîtres à danser. Cela continuait par les comédiens, qui traversaient les cours<br />

princières, les capitales, et même qui s’y fixaient quelquefois. « Si vous<br />

voyiez notre théâtre, il vous offrirait un spectacle très risible ; vous verriez<br />

une école d’enfants. Tout le monde a son livre devant les yeux, tête baissée,<br />

sans détourner jamais les yeux pour voix la scène ; ils paraissent contents<br />

d’apprendre le français 3 . » Cela continuait par les artistes de toute espèce, qui,<br />

eux <strong>au</strong>ssi, travaillaient à construire une Europe française <strong>au</strong> <strong>siècle</strong> <strong>des</strong><br />

lumières 4 . Si, à titre d’expérience, on range par catégories les gallicismes qui<br />

ont pris, en ce temps-là, droit de cité hors de France, on voit comment ils<br />

appartiennent à l’art de bien manger, de se bien vêtir, de se bien présenter, de<br />

pratiquer de belles manières, de parler en homme du monde ; et comment ils<br />

traduisent, <strong>au</strong>ssi, <strong>des</strong> nuances psychologiques et morales p.430 qui contribuent<br />

<strong>au</strong> raffinement de l’esprit ; ils forment un ensemble cohérent, après le<br />

désordre de leur première venue. Ils impliquent une notion d’art ; art<br />

1 Voltaire, Dictionnaire philosophique, Article <strong>La</strong>ngues.<br />

2 Lettre de Frugoni à Algarotti, de Parme, le 13 octobre 1758.<br />

3 L’abbé Galiani à Mme d’Épinay, de Naples, le 16 janvier 1773.<br />

4 Louis Ré<strong>au</strong>, L’Europe française <strong>au</strong> <strong>siècle</strong> <strong>des</strong> lumières, 1938.

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