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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 28<br />

de son enfance. Si, dans les époques précédentes, l’homme était resté en<br />

tutelle, c’était par sa f<strong>au</strong>te : il n’avait p as eu le courage de se servir de sa<br />

raison ; toujours il avait eu besoin d’un commande ment extérieur. Mais il<br />

s’était repris, il avait commencé à penser par lui -même : Sapere <strong>au</strong>de. <strong>La</strong><br />

paresse, la lâcheté, poussent une foule d’esprits à rester mineurs tout <strong>au</strong> long<br />

de leur vie, et permettent à quelques <strong>au</strong>tres d’exercer une domi nation facile. Si<br />

j’ai un livre qui a <strong>des</strong> opinions pour moi, un directeur de conscience qui a une<br />

morale pour moi, un médecin qui a un régime pour moi, je n’ai pas besoin de<br />

faire personnellement effort : à ma place, un voisin s’occupera de la désagréa -<br />

ble affaire qui consiste à réfléchir. Que la grande majorité <strong>des</strong> créatures ait<br />

peur d’atteindre sa majorité, c’est ce à quoi veillent les gardiens qui ont<br />

commencé par abêtir leur troupe<strong>au</strong> domestique : ils montrent à ces éternels<br />

enfants le danger qui les menace s’ils prétendent marcher seuls. De sorte qu’il<br />

est p.41 difficile <strong>au</strong>x individus de sortir de cette seconde nature qu’ils finissent<br />

par aimer. Et cependant il est possible, il est inévitable que se crée un public<br />

qui accède à la philosophie <strong>des</strong> lumières. Car quelques âmes fortes se<br />

dégagent et donnent l’exemple. Exemple dont la vertu ne peut opérer que<br />

lentement : tandis que par une révolution, on abat un <strong>des</strong>potisme, on met fin à<br />

une oppression, mais on n’arrive à rien de durable, et même on crée <strong>des</strong><br />

préjugés nouve<strong>au</strong>x : <strong>au</strong> contraire, on exécute une réforme profonde par une<br />

évolution. <strong>La</strong> liberté en est l’âme, la liberté sous la forme la plus saine de tout<br />

ce qu’on désigne sous ce vo cable, la liberté de faire un usage public de sa raison.<br />

— Mais ici <strong>des</strong> cris s’élèvent ; l’officier dit à ses soldats : ne raisonnez<br />

pas, et faites l’exercice ; le financier : ne raisonnez pas, payez ;<br />

l’ecclésiastique : ne raisonnez pas, croyez ! Le fait est qu’une certaine<br />

limitation est nécessaire, qui, loin de nuire à l’Aufklärung, la favorise. <strong>La</strong><br />

liberté de penser et de parler est illimitée chez l’homme cultivé, chez le<br />

savant ; elle est limitée chez ceux qui, exerçant une fonction du corps social,<br />

doivent l’accomplir sans discussion ; il serait extrêmement dangereux qu’un<br />

officier, recevant dans le service un ordre de son supérieur, se mît à raisonner<br />

sur l’opportunité de cet ordre ; qu’un ecclésiastique, exposant le Credo à ses<br />

catéchumènes, se mit à leur montrer ce que ce Credo a de défectueux. En<br />

somme, le jeu <strong>des</strong> organes de la machine sociale doit se continuer sans<br />

changement brusque ; en même temps, un changement doit se produire dans<br />

l’esprit de ceux qui la dirigent, un changement qui les affect e en tant qu’êtres<br />

pensants, et qui peu à peu substitue à l’état de tutelle un état de liberté. Deux<br />

plans : celui de l’action, qui provisoirement reste inaltéré ; celui de la raison,<br />

où se prépare l’évolution qui pour finir dominera les actes, car ce trav ail de la<br />

<strong>pensée</strong> a comme devoir de ne point s’arrêter.<br />

Le champ de la libération s’est ouvert ; nous ne sommes pas arrivés, nous<br />

ne nous arrêterons jamais, mais nous sommes sur le bon chemin 1... — Telle<br />

fut, comme elle voulait être vue, sous sa forme la plus h<strong>au</strong>te et dans l’idéal,<br />

l’Aufklärung.<br />

1 E. Kant, Beantwortung der Frage : Was ist Aufklärung ? 1784.

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