La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 274<br />
ses amis, de les abandonner comme un fruit tombé entre cent du grand arbre<br />
fécond, le ramasse qui voudra. Un peu lourd, un peu vulgaire ; faisant<br />
honneur, en un seul souper, à plusieurs bouteilles de champagne rouge, de<br />
champagne blanc mousseux, de vin <strong>des</strong> Canaries, sans compter <strong>des</strong> liqueurs<br />
de deux ou trois espèces ; sentant son ventre s’arrondir et lutter contre les<br />
boutons de sa veste, après dîner. Étourdi ; prompt à se mêler de ce qui ne le<br />
regardait pas ; familier, prodigue d’embrassa<strong>des</strong> et de claques amicales ;<br />
encombrant. Mais jamais mesquin, jamais hypocrite, jamais envieux ; de sorte<br />
que ses déf<strong>au</strong>ts même ne sont pas moroses. Si fertile, si prodigue de<br />
connaissances et d’idées, qu’on peut trouver <strong>des</strong> génies plus profonds peut -<br />
être : mais plus riches, non pas.<br />
Richesses qui sont chez lui paisiblement contrastées, et qu’il accumule<br />
sans souffrir de leur disparate. Pourquoi souffrirait-il ? Il est joyeux de sentir<br />
tant de forces diverses affluer vers lui, émaner de lui.<br />
Une épigraphe : « Mes parents ont laissé après eux un fils qu’on appelle<br />
Denis le Philosophe : c’est moi. »<br />
Il est Denis le Philosophe. Il fait partie <strong>des</strong> frères ; il les p.372 connaît tous,<br />
puisqu’il les a groupés <strong>au</strong>tour de lui ; et il est l’ami intime de quelques -uns,<br />
Grimm, Helvétius, d’Alembert, Condi llac, le baron d’Holbach ; il admire<br />
Montesquieu, <strong>au</strong>quel il a rendu un solennel hommage ; il n’aime pas<br />
be<strong>au</strong>coup Voltaire, son caractère est trop différent, mais Voltaire l’estime<br />
parce qu’il le tient pour un <strong>des</strong> premiers du monas tère : <strong>au</strong>ssi voudrait-il le<br />
faire entrer à l’Académie ; si l’Atlas de l’ Encyclopédie comptait parmi les<br />
Quarante, le parti s’en trouverait renforcé. Pour le philosophe, Diderot a<br />
toutes les ambitions ; le magistrat rend la justice, le philosophe lui apprend ce<br />
qu’est le juste et l ’injuste ; le militaire défend la patrie, le philosophe lui<br />
apprend ce qu’est la patrie ; le prêtre recommande <strong>au</strong> peuple le respect pour<br />
les dieux, le philosophe apprend <strong>au</strong> prêtre ce que sont les dieux ; le souverain<br />
commande à tous, le philosophe lui apprend l’origine et les limites de son<br />
<strong>au</strong>torité. S’il était le maître, il ornerait de la couronne civique la tête du<br />
philosophe, ob servatos cives.<br />
C’est lui qui a trouvé la métaphore, que nous avons citée, pour dire que les<br />
lumières allaient dissiper les gran<strong>des</strong> taches d’ombre qui couvraient encore la<br />
surface de la terre ; et le symbole que nous avons rappelé, pour montrer<br />
l’Expérience, devenue géante, ébranlant les colonnes du temple de l’erreur. Il<br />
a suivi l’évolution même de la science, passant de la géom étrie à la physique<br />
mathématique, et de la physique mathématique à l’histoire naturelle : il s’est<br />
passionné pour l’anatomie, pour la physiologie : il a étudié les fibres et les<br />
tissus, les nerfs et les os, les organes ; il a vu palpiter la chair et circuler le<br />
sang ; il a enlevé <strong>au</strong> métaphysicien le droit de parler de l’homme, pour le<br />
confier <strong>au</strong> médecin.