La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 198<br />
l’observation <strong>des</strong> faits ; <strong>des</strong> faits se dégage la science, à la fois certaine et<br />
bornée. Certitu<strong>des</strong> quand on sent qu’on a reçu <strong>des</strong> objets une impr ession<br />
propre et précise que chaque jugement suppose ; arrêt, quand la nature de<br />
l’objet ou la faiblesse de nos organes nous fait sentir une limite. De cette<br />
certitude le philosophe se réjouit ; de cette limitation il ne s’afflige pas. Il ne<br />
peut rien affirmer en dehors <strong>des</strong> apports qu’il saisit dans son âme, il est obligé<br />
de garder le silence sur les réalités substantielles ; tant pis ou tant mieux ; il se<br />
prend tel qu’il est, et non pas tel qu’il semble à l’imagination qu’il pourrait<br />
être. Sans se prononcer définitivement sur un point qui le dépasse, il tend<br />
cependant à croire qu’il est composé non pas de deux éléments, la matière et<br />
l’esprit ; mais d’un seul, la matière douée de <strong>pensée</strong>. L’air, à lui seul, est<br />
capable de produire <strong>des</strong> sons ; le feu, à lui seul, excite la chaleur ; les yeux, à<br />
eux seuls, voient ; les oreilles, à elles seules, entendent ; de même la substance<br />
du cerve<strong>au</strong>, à elle seule, est susceptible de penser.<br />
Connaissant les erreurs de la fantaisie, de la hâte, <strong>des</strong> présomptions,<br />
sachant que la vérité ne s’atteint que par la méthode sûre qu’il a déterminée,<br />
l’esprit philosophique est un esprit d’obser vation et de justesse qui rapporte<br />
tout à ses véritables principes.<br />
Mais s’il n’était que méditation, que joie solitaire d’avoir corrigé l’erreu r<br />
intellectuelle qui s’était prolongée pendant <strong>des</strong> <strong>siècle</strong>s, il fonctionnerait à vide.<br />
Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être<br />
en pays ennemi ; p.269 il veut jouir en sage économe <strong>des</strong> biens que la nature lui<br />
offre ; il veut trouver du plaisir avec les <strong>au</strong>tres, et pour en trouver il f<strong>au</strong>t en<br />
faire ; ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le<br />
font vivre, et il trouve en même temps ce qui lui convient. C’est un honnête<br />
homme qui veut plaire et se rendre utile. Il sait se partager entre la retraite<br />
qui lui permet de réfléchir et le commerce <strong>des</strong> hommes qui lui permet de<br />
vivre ; il est plein d’humanité. <strong>La</strong> Société civile est pour ainsi dire la seule<br />
divinité qu’il reconnaisse sur la terre.<br />
Tandis que le dévot agit ou bien par enthousiasme ou bien par intérêt, le<br />
philosophe agit par esprit d’ordre et par raison ; les motifs qui règlent sa<br />
conduite sont d’<strong>au</strong>tant plus forts qu’ils sont désintéressés et naturels. L’idée de<br />
malhonnête homme est <strong>au</strong>tant opposée à l’idée de philosophe, que l’idée de<br />
stupidité.<br />
Il a l’ambition, toute légitime, d’étendre son pouvoir. Si c’était à lui qu’il<br />
appartenait de diriger la terre, la terre en irait mieux. <strong>La</strong> réflexion de<br />
l’empereur Antonin est parfaite ment juste, que les peuples seront heureux<br />
quand les rois seront philosophes ou quand les philosophes seront rois. Le<br />
superstitieux remplit mal les h<strong>au</strong>tes dignités parce qu’il se considère comme<br />
exilé sur la terre, son roy<strong>au</strong>me n’est pas de ce monde. Au contraire, le sage,<br />
élevé <strong>au</strong>x gran<strong>des</strong> places, ne travaillera qu’<strong>au</strong> bien public.<br />
Pas plus qu’il ne rougit de ses passions, pas plus il ne méprise les<br />
avantages matériels. Il veut avoir les douces commodités de la vie. Il lui f<strong>au</strong>t,