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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 70<br />

Ce fut le serpent qui creva.<br />

Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan, magistrat honorable et<br />

homme de lettres infortuné, s’en prit <strong>au</strong>x philo sophes dans son discours de<br />

réception à l’Académie française ; le même Voltaire le saisit <strong>au</strong> collet et ne le<br />

lâcha plus, Lefranc de Pompignan devint son souffre-douleur. Autre<br />

épigramme :<br />

Savez-vous pourquoi Jérémie<br />

A tant pleuré pendant sa vie ?<br />

C’est qu’en prophète il prévoyait<br />

Qu’un jour Lefranc le traduirait.<br />

Épîtres, satires, allusions toujours renouvelées, l’acca blèrent : tant et tant<br />

qu’il n’osa plus sortir de chez lui : Voltaire avait supprimé Lefranc de<br />

Pompignan.<br />

<strong>La</strong> partie non écrite de la vie de l’esprit, les conversations, les réflexions,<br />

les mots qu’on répète de proche en proche — qui l’arrêtera ? <strong>La</strong> philosophie<br />

est dans les clubs et dans les assemblées, dans les cafés, <strong>au</strong>tour <strong>des</strong> tables de<br />

thé — qui la saisira ? Elle se répand dans l’air, elle s’insinue — où la<br />

prendre ? <strong>Les</strong> policiers se mêlent innocemment <strong>au</strong>x promeneurs qui bavardent<br />

sous les arbres du Palais Royal ou dans les jardins du Luxembourg ; ils<br />

consignent dans leurs rapports qu’ils ont entendu <strong>des</strong> propos contre la<br />

religion, <strong>des</strong> propos athéistes, tenus même p.99 par <strong>des</strong> abbés : impossible<br />

d’arrêter tous ces impies. Nicolas Boindin, homme de lettres, membre de<br />

l’Académie <strong>des</strong> Ins criptions, tient ses assises <strong>au</strong> café Procope, où il est connu<br />

comme libertin. Il emploie un jargon à lui : il appelle la liberté, Jeanneton ; la<br />

religion, Jacotte, et Dieu, M. de l’Être. « Oserai-je vous demander, lui dit un<br />

mouchard qui l’écoute, ce que c’est que ce M. de l’Être, qui s’est si souvent<br />

mal conduit et dont vous êtes si mécontent ? — Monsieur, c’est un espion de<br />

police. » Même une réplique de tragédie peut devenir suspecte : mettra-t-on<br />

en prison les spectateurs qui appl<strong>au</strong>dissent ? Même un livre glorieux, comme<br />

Télémaque, peut servir à la propagande philosophique : brûlera-t-on<br />

Télémaque sur les marches du Palais ? Toutes composantes d’une atmosphère<br />

dont les chrétiens eux-mêmes finissaient par subir l’action.<br />

Quelquefois, un colporteur frappait à la porte et laissait, contre espèces<br />

sonnantes, un manuscrit dans le genre de ceux-ci : Discours historique contre<br />

l’Apocalypse et en même temps contre les <strong>au</strong>tres livres du Nouve<strong>au</strong><br />

Testament ; Essai historique et critique sur les trois plus fameux imposteurs,<br />

Moïse, Jésus et Mahomet ; Extrait <strong>des</strong> Sentiments de Jean Meslier ;<br />

Testament de Jean Meslier ; L’âme matérielle ; et <strong>au</strong>tres analogues ; en tout,<br />

plus de cent titres. En France existait une organisation clan<strong>des</strong>tine, où Fréret,<br />

Mirab<strong>au</strong>d, Dumarsais, ont trempé pour une large part, et qui travaillait sur la<br />

France : fournisseurs de manuscrits ; entrepreneurs, copistes, distributeurs à

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