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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 176<br />

étroitement unie qu’elle semblait être de son essence : l’élément moral.<br />

L’histoire ne doit pas être indifférente <strong>au</strong>x actions humaines, il f<strong>au</strong>t qu’elle<br />

montre la défaite du vice et le triomphe de la vertu, les bons toujours<br />

récompensés, les méchants toujours punis : voilà ce qu’avaient répété les<br />

pères et les pères grands, et la génération d’après 1715 n’avait pas renié<br />

l’héritage ; elle le modifiait seulement, en ajoutant que la morale ainsi<br />

enseignée devait être philosophique : de sorte que son préjugé se substituait <strong>au</strong><br />

préjugé ancien, et qu’elle n’arrivait point à obtenir le résidu objectif qu’elle<br />

désirait cependant. Au lieu d’adresser sa leçon <strong>au</strong>x sujets, l’histoire<br />

l’adresserait à ces mortels infortunés qu’on appelle <strong>des</strong> princes, condamnés à<br />

ne voir jamais les hommes que sous le masque. Elle l’adres serait, bien<br />

entendu, à l’Église ; elle serait anticléricale, anti-papiste ; et comme il y avait<br />

une présence continuée p.239 qui les tourmentait, les historiens nouve<strong>au</strong>x<br />

seraient <strong>des</strong> anti-Bossuets dans toute la mesure de leurs forces. Ils ne chercheraient<br />

pas à saisir le Moyen Age en tant que fait historique à comprendre,<br />

mais en tant qu’erreur à réfuter ; quand ils <strong>au</strong>raient à raconter le fait<br />

mahométan, ils <strong>au</strong>raient à le venger <strong>des</strong> calomnies <strong>des</strong> chrétiens ; quand ils<br />

parleraient <strong>des</strong> Croisa<strong>des</strong>, ils les traiteraient comme un accès de folie<br />

furieuse ; ils exalteraient la Renaissance, moins pour ses mérites intrinsèques<br />

que parce qu’elle avait ouvert l’âge de la raison. « L’histoire est la philosophie<br />

nous enseignant par <strong>des</strong> exemples comment nous devons nous conduire dans<br />

toutes les circonstances de la vie publique et privée ; en conséquence, nous<br />

devons nous adresser à elle dans un esprit philosophique 1. »<br />

Mais l’habitude la plus difficile à vaincre était celle qui consistait à<br />

projeter le présent sur le passé et à condamner les hommes d’<strong>au</strong>trefois parce<br />

qu’ils avaient commis la f<strong>au</strong>te d’être de leur temps. Comme disait un naïf<br />

abbé : « Plaçons-nous <strong>au</strong> premier âge du monde ; examinons en observateurs<br />

attentifs... » Il ne doutait pas que les premiers âges du monde ne dussent être<br />

jugés suivant les normes du XVIII e <strong>siècle</strong>, puisque ces normes valaient<br />

éternellement. Sans souffrir comme d’un contresens, les ration<strong>au</strong>x<br />

« transformaient les questions d’origine en questio ns de logique » ;<br />

l’abstraction les guettait, dans le temps où c’est le concret qu’ils voulaient<br />

atteindre. Pour acquérir le sens historique, il ne leur fallait rien de moins<br />

qu’un changement radical dans l’idée qu’ils se faisaient de la vérité, qu’un<br />

renversement dans la conduite de leur esprit. « <strong>La</strong> preuve physique et<br />

mathématique doit passer avant la preuve morale, comme celle-ci doit<br />

l’emporter sur la preuve historique 2 », telle était leur conviction profonde.<br />

Allaient-ils réussir à bouleverser cette hiérarchie, contre eux-mêmes, et à<br />

rendre à la preuve historique sa dignité ?<br />

1 Bolingbroke, Letters on the Study and use of History, 1752, Lettre III.<br />

2 Diderot, Introduction <strong>au</strong>x grands principes. Le Prosélyte répondant par lui-même. OEuvres,<br />

II, p. 81.

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