La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 241<br />
affaiblir la Turquie, démembrer la Suède ; à l’intérieur, substituer son <strong>au</strong>torité<br />
à l’anarchie dans laquelle ses prédécesseurs immédiats avaient laissé<br />
l’empire ; la grande Catherine reprendrait la tâche de Pierre le Grand. Une<br />
femme p.327 de génie, disait le comte de Ségur ; « fière, tendre et victorieuse »<br />
comme Louis XIV, disait le prince de Ligne.<br />
D’<strong>au</strong>tres souverains comptaient parmi les <strong>des</strong>potes éclairés, Gustave III en<br />
Suède, Christian VII en Danemark, Stanislas-Auguste en Pologne, voire<br />
même Charles III d’Espagne ; et quand les souverains ne suffisaient pas,<br />
c’étaient les ministres qui les aidaient, le comte d’Aranda près de Charles III,<br />
Pombal près de Joseph Ier, Dutillot à Parme, Tanucci à Naples. Puissantes<br />
individualités ; tout le contraire <strong>des</strong> pâles fils de Télémaque, que les<br />
philosophes dépeignaient comme l’idéal <strong>des</strong> rois. A ces impérieux, à ces<br />
réalistes qui ne connaissaient d’<strong>au</strong>tre raison que la raison d’État, à ces<br />
<strong>des</strong>cendants du Prince de Machiavel, les admirateurs de la constitution<br />
anglaise adressaient leurs sourires. Un peu moins volontiers à Joseph II ;<br />
volontiers à Pombal, qui avait expulsé les Jésuites ; car c’est toujours là qu’on<br />
en revenait, le cri de guerre contre l’Église faisait ralliement ; volontiers <strong>au</strong><br />
comte d’Aranda, à D utillot, à Tanucci ; quand il s’agissait de Catherine II ils<br />
allaient jusqu’à l’hyperbole, plus fleuris d’éloges que les plus plats <strong>des</strong><br />
courtisans. Elle était la Sémiramis du Nord ; Algarotti trouvait le paradis dans<br />
les neiges de Russie ; Carlo Gastone della Torre di Rezzonico dédiait à<br />
l’impératrice son Ragionamento sulla filosofia del secolo XVIII (1778) :<br />
alliance signée entre la philosophie et le pouvoir. Elle avait manifesté l’inten -<br />
tion de donner un Code à ses sujets, et à cet effet elle réunissait à Moscou <strong>des</strong><br />
députés venus de toutes ses provinces, et elle leur disait que la nation n’était<br />
pas faite pour le souverain, mais le souverain pour la nation. Elle songeait à<br />
réformer la justice, à organiser une éducation qui fût moderne. Elle invitait les<br />
artistes à venir orner ses palais et sa capitale ; elle cherchait un Encyclopédiste<br />
comme précepteur de son petit fils, et à déf<strong>au</strong>t de d’Alembert, elle prenait un<br />
Suisse républicain ; elle entretenait une correspondance familière avec Mme<br />
Geoffrin, une <strong>des</strong> mères du couvent ; après que Robertson avait publié son<br />
History of Charles V, elle lui envoyait une tabatière d’or et lui faisait savoir<br />
que ce livre était le compagnon de ses voyages : à moins que ce ne fût l’ Esprit<br />
<strong>des</strong> Lois de Montesquieu ; elle faisait traduire le Bélisaire de Marmontel. Il<br />
fallait entendre Diderot, son protégé, son client, qui n’avait jamais voulu faire<br />
qu’un seul voyage, p.328 celui de Saint-Pétersbourg, exprimer son<br />
enthousiasme : si elle avait un déf<strong>au</strong>t, c’est qu’elle était trop bo nne ; elle<br />
n’avait absolument rien de <strong>des</strong>potique dans son caractère, dans sa volonté,<br />
dans ses actes : on se sentait une âme d’esclave dans les pays prétendus<br />
libres ; mais là-bas, <strong>au</strong>près d’elle, dans un pays de prétendus esclaves, on<br />
respirait la liberté. — Mais le favori <strong>des</strong> philosophes était le représentant de<br />
l’État Léviathan, Frédéric II. Il était, disaient -ils, plus grand que les plus<br />
grands <strong>des</strong> Empereurs romains. Il avait fait la félicité de son peuple, donné un<br />
modèle à l’Europe et préparé le bonheu r <strong>des</strong> générations futures. Ainsi de